Chapitre 6

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La vie est un éternel recommencement. Un jour, vous pleurez toutes les larmes de votre corps, le lendemain, vous promettez de vous battre.

Jusqu'à ce que vos genoux tremblent à nouveau et que les larmes reviennent. C'est un cycle infernal, obstiné, interminable. Un rond parfait. Voilà ce qu'est la vie. Un rond bien lisse, pour qu'aucune écorchure ne vous laisse vous échapper.

Pourtant, quand je fus réveillée à l'aube par la vieille servante, le lendemain, j'avais l'impression de commencer quelque chose. De faire encore un pas, mais dans une autre direction. Ce pas ne m'amènerait sans doute pas vers le bonheur, mais peut-être m'amènerait-il vers quelque chose de différent, de nouveau ?

Suzanne, la servante dodelina de la tête, comme si elle avait entendu mes pensées, et qu'elle était bien d'accord. Elle posa un pantalon et une blouse légère sur mon lit, et une fois que, en bon robot bien obéissant, je les eus enfilés, elle rassembla mes cheveux en un chignon décoiffé et me maquilla. Lorsque je me tournai vers le miroir, je ne me reconnus pas. Je n'avais jamais été maquillée, et je n'avais jamais attaché mes cheveux, n'ayant pas de quoi le faire. J'eus l'impression de voir quelqu'un d'autre. Le chignon dégageait les traits fins de mon visage, et le maquillage relevait mes yeux bleus. Perchée sur mes talons, j'eus l'impression d'être devenue une femme.

On m'emmena prendre le petit-déjeuner. Cette fois ci, à mon grand soulagement, j'arrivai en première.

— Sommes-nous en avance ? demandai-je à Suzanne.

— Non mademoiselle. Dans le Grand Palais, tous les invités prennent le petit-déjeuner dans leur chambre. Mais le Prince a désiré le prendre avec vous dans la salle à manger.

Je mis quelques secondes à comprendre qu'elle parlait du fils du gouverneur. Depuis quand était-il un prince ? Je me souvins d'Alicia, me disant qu'elle était presque une princesse. J'eus l'impression d'être plongée dans un autre siècle. Un autre monde, un autre siècle, ça faisait beaucoup.

Je m'apprêtai à demander à la servante comment j'étais censée appeler mon futur époux, quand le « Prince » entra. Il portait une tunique vert émeraude, sur laquelle plusieurs médailles étaient accrochées. Je me demandai quel âge il pouvait avoir. 24 ? 25 ans ? En tout cas, il était sans doute trop jeune pour avoir gagné toutes ces médailles lui-même.

Mais ce ne fut pas ce qui me choqua. Ça n'était pas l'homme que j'avais vu hier au diner. Il avait les mêmes cheveux bruns, la même carrure, quoi qu'un peu plus grand, et les mêmes yeux gris, mais les siens étaient d'un gris métallique, et semblaient lancer des éclairs. La servante le salua, et il lui fit signe de se retirer d'un geste de la main. Je me levai, et tentai une révérence maladroite, ne sachant comment me comporter. Après tout, si c'était un prince, autant le saluer à la hauteur de son rang.

— Bonjour ma chère, asseyez-vous, me dit-il distraitement. Je n'ai pas pu être présent au déjeuner et au dîner hier soir. J'étais occupé avec ma sœur. Mais peu importe, maintenant, nous nous rencontrons. Veuillez-vous servir.

Je frémis. Sa voix était sèche, et son regard dur. Je compris que l'homme que j'avais vu hier était son frère cadet. Je me servis quelques tartines. Cette nouvelle m'avait coupé l'appétit. J'aurais sans doute pu supporter de passer le restant de mes jours avec son frère, mais lui ? Mon cœur se serra.

Le repas se passa en silence. Il m'ordonnait de me servir, et m'observait. Je tremblai sous son regard, mais m'efforçai de ne pas le montrer.

Quand je reposai mes couverts, il prit enfin la parole.

—  Comment trouvez-vous votre chambre ?

— Très bien, merci.

— Avez-vous visité les lieux ?

Le Ciel dans tes BrasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant