Chapitre 3

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Le professeur Heigl faisait des allers-retours. Encore et encore. Vêtu d'une blouse blanche mouchetée de sang, un smartphone dernier cri à l'oreille, il traînait du pied comme s'il était blessé. Ses cheveux blonds clairsemés de gris étaient ébouriffés et encore fumants. Que lui était-il arrivé ? Alex s'approcha un peu plus de son fils. Un mince sourire sardonique étirait ses lèvres, et une lueur de démence brillait dans son regard. Brooklyn essaya de protester, mais il ne pouvait rien faire. Ses membres ne lui obéissaient plus. Alex tendit une main gantée dans sa direction. Il s'apprêtait à le toucher quand soudain, son téléphone se mit à sonner. Une effroyable secousse balaya la pénombre. Le professeur poussa un cri. Un trou, gros comme un impact d'obus, se creusa au creux de son ventre. Mais aucune goûte de sang ne coula sur le sol. Il n'y eut qu'une détonation. Puis les cendres. Et la lumière.


Brooklyn se réveilla en suffoquant. Il pouvait sentir ses muscles le brûler et son sang alourdir ses veines. Mué d'une impulsion, il sortit du lit et tomba à quatre-pattes sur le sol. La faible brise qui entrait par sa fenêtre le fit frissonner et acheva de chasser les dernières traces de son rêve.

Il chercha à tâtons son ventre sous son t-shirt et constata avec soulagement qu'il n'avait pas explosé. Son lit était un véritable champ de bataille : les oreillers étaient dispersés aux quatre coins de la pièce tandis que les couvertures débordaient de chaque côté du matelas. Comment en était-il arrivé à ce résultat ? Il était pourtant sûr de ne pas s'être endormi avec un ours.

La première fois que Brooklyn avait fait ce cauchemar, il avait vomi au réveil. Le premier de la série datait d'une longue semaine, jour où on lui avait appris le décès de son père. Depuis cet épisode, il veillait à ne plus trop manger pendant les heures précédant le coucher, mais ça ne marchait pas à chaque fois. Un goût de bile flottait dans sa bouche. Il ferma les yeux et appuya son front contre le sol. Le contact avec la pierre froide lui fit du bien. L'ordre revint lentement dans son esprit.

Quelle heure est-il ?

Brooklyn se releva et prit son portable, posé sur la table de nuit. L'écran indiquait « 6H30 ». Ça lui laissait une heure et demi avant l'arrivée de son tram. Une heure et demi pour ruminer son cauchemar ...

Brooklyn secoua la tête. Il se releva promptement, sortit de sa chambre et dévala les escaliers. Arrivé en bas, il traversa le petit salon propret qui se dressait entre le hall d'entrée et la cuisine.C'était une pièce assez vaste peinte dans les tons ocres. Un canapé d'angle trônait en son centre, juste en face d'un écran plasma dernier cri. Brooklyn arriva dans la cuisine. Il se prépara une tasse de café, puis des tartines au chocolat, et engouffra le tout en un temps record. Depuis qu'il avait arrêté de manger le soir, il se réveillait chaque matin avec l'estomac dans les talons, au bord de l'évanouissement.

Le sucre lui donna immédiatement un coup de fouet. Il remonta à l'étage et entra dans la salle de bain. La routine d'une journée de rentrée commençait. Après tout, la vie continuait.

Simplement sans Alex.


Brooklyn regardait les dessins animés depuis vingt minutes quand il se décida enfin à quitter la maison. Écouteurs vissés sur les oreilles, il marcha jusqu'à la station la plus proche et attendit son tram. Deux refrains s'écoulèrent avant que ce dernier ne pointe le bout de sonnez. Avec mauvaise humeur, Brooklyn joua des coudes avec les autres passagers pour s'assurer une place assise, ce qu'il parvint heureusement à obtenir sans trop de difficulté. Avoir une réputation d'orphelin psychopathe, ça avait ses avantages.

Le tram s'ébranla avant de se remettre en route. Les immeubles, les mers de béton baignées par le soleil, les oasis émeraudes qui venaient égayer l'apparente austérité de la ville ... Les paysages de Comics Park avaient beaucoup manqué à Brooklyn. Après tout ce qu'il s'était passé, le garçon n'avait pas vraiment eu l'occasion de sortir. Des siècles étaient passés depuis la dernière fois qu'il avait mangé un bout au Lotus Blanc, son restaurant préféré, ou même admiré la verdure des parcs qui façonnaient la ville. Aidé de Quinn, il se promit intérieurement de vite rectifier le tir.

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant