Chapitre 27

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Le barman lorgnait sur son verre d'un air torve. Le geste robotique, il frottait et re-frottait sa surface avec un vieux torchon crasseux en se demandant pourquoi la saleté refusait de reculer.

De l'autre côté du bar, Quinn l'observait avec admiration. Elle devinait à peine son visage, à demi-caché derrière les fines particules de poussière qui dansaient entre eux, mais la jeune fille pouvait ressentir son aura. Il dégageait quelque chose de brut, de primitif.

- J'peux vous z'aider, m'dame ? beugla le barman derrière son comptoir. V'voulez une aut' limonade ?

Une botte d'argile. C'était une botte d'argile insoluble. Que personne n'avait jamais modelé et que personne ne modèlerait jamais. Crasseuse, simplette, splendide.

- Non merci, c'est très bien.

Quinn esquissa quelques traits sur son carnet à croquis avant de reporter son attention sur son environnement. Le bar était petit et miteux. Une drôle d'odeur, semblable à de l'urine, imprégnait l'atmosphère. Le sol donnait l'impression d'être fait de terre tant la saleté s'y était accumulée et seules quelques rares traces de pas laissaient entrevoir l'ombre de la pierre. Les autres tables étaient tristement désertes. Un ivrogne, abruti par la bière,ronflait bruyamment devant la porte des toilettes. Quinn n'en revenait pas. Même les lumières, accrochées au mur, diffusaient une lueur jaunâtre à l'antithèse de celle pourvue par le soleil. C'était si répugnant ! Elle avait trouvé le lieu idéal.

Le crayon-de-papier reprit sa valse au-dessus du carnet. Les traits de crayon balayaient les derniers espaces immaculés de la feuille dans un frottement mélodieux. Le cadre était idéal pour dessiner dans la quiétude et la sérénité, en particulier une fois que l'on s'était accommodé à l'odeur. Des années à fréquenter la chambre de Brooklyn avait immunisé Quinn contre toutes sortes d'agressions olfactives. Un léger sifflement au bout des lèvres, la rousse se pencha vers son sac pour récupérer ses crayons de couleur quand une petite clochette retentit dans le bar.

Quinn s'immobilisa sous la table. Elle sentit une benne de ciment entière se déverser dans son ventricule gauche, puis le droit, avant de se diffuser dans l'intégralité de son système veineux. Son souffle était fossilisé, comme plongé dans de l'ambre ; c'était comme si la moindre de ses cellules s'étaient figées pour l'éternité.

Le barman, intrigué de voir autant de monde s'introduire dans son établissement, salua son nouveau client avec acerbité. Ce dernier –un homme – lui répondit sur un ton détaché, indifférent. Quinn reconnut cette voix. Sa voix. De lourds pas s'abattirent sur le sol crasseux en soulevant des volutes de poussière. Bientôt, les jambes que Quinn voyait se rapprocher se confondirent dans un nuage grisâtre. La jeune fille essaya de se redresser, de faire le vide dans sa tête afin d'afficher une attitude normale et nonchalante quand enfin, elle entendit :

- Bonjour, Quinn.

La main de son père se referma alors autour de son épaule pour l'aider à se redresser.


Jason Clare avait la mine fatiguée. Il arborait une barbe de trois jours et son costume donnait l'impression de n'avoir jamais connu les bien faits du repassage. En le regardant, Quinn sentit un sentiment de pitié s'engouffrer en elle. Ses épaules étaient si tombantes qu'elles touchaient presque le sol. Le pauvre travaillait beaucoup trop. Quelle pouvait bien être l'origine de cet épuisement ?

Monsieur Clare héla le barman et commanda une tasse de thé. L'homme baragouina quelques insultes inaudibles avant de lui ramener un verre d'eau chaude vaguement colorée. Jason esquissa un sourire.

- Quel endroit charmant.

Quinn sentit l'étau qui compressait ses poumons se resserrer un peu plus.

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant