Nubiris - La Tour de la Gloire

Chapitre 6

Le pluvieux dimanche qui suivit fut l'un des plus rudes que Brooklyn n'avait jamais eu à affronter. Bien plus terrible que le jour où on avait enterré son père, encore pire que le jour où la saga Harry Potter s'était éteinte sur grand écran : le jour où Julie était devenue un monstre. Finie la belle complicité, finies les gaufres et les conversations sentimentales : depuis la transaction de l'entrepôt numéro 7, la guerre était déclarée. Chacun redoublait d'effort pour faire de la vie de l'autre un véritable enfer, et même si Brooklyn était un expert dans l'art d'excéder son prochain, il fallait bien admettre que Julie se défendait bien.

- Je vais me faire un tatouage.

- Je vais vendre ton ordinateur.

- Je vais me mettre à fumer.

- Je vais me mettre à te baffer.

- Je vais faire exploser cette maison.

Las de ces interminables joutes verbales, Brooklyn avait fini par se retrancher dans sa chambre, un paquet de chips et des canettes de soda pour seuls alliés. Il prenait plaisir à prendre un peu de recul sur le monde extérieur, les volets fermés et le portable éteint. Une journée de repos avant de reprendre les cours semblait le minimum après les événements de la Place de la Gloire.

D'un point de vue légal, la petite stratégie de Monsieur Clare avait parfaitement fonctionné. La police n'était pas venue arrêter ou interroger Brooklyn : son nom avait été totalement rayé de l'affaire de l'explosion, qui serait de toute manière bientôt étouffée par un sac de billets. Mais les Parksiates n'étaient pas dupes, et dans la Grande Ville, les rumeurs circulaient aussi vite que les trams.

À vrai dire,  Brooklyn s'enfichait. Le nom « Heigl » était associé à la décadence depuis des années ; c'était inscrit dans le béton qui façonnait les rues de Comics Park. Le jeune homme savait pertinemment ce que pensaient les gens à son sujet. Le seul problème, c'était que jusqu'à hier, il n'y avait jamais été confronté.

Seulement voilà : Emma.

Emma, la sœur d'Ethan, avait été la seule à lui dire tout haut ce que tout le monde murmurait sur son chemin. Le fait que ce soit une fille d'une extrême beauté n'arrangeait évidemment rien à la situation.

Le tout était bien sur sublimé par l'indémodable question sans réponse : que s'était-il passé dans le laboratoire ? Brooklyn avait beau retourner le problème dans tous les sens, il avait beau essayer de se souvenir, d'analyser les flashs qui parfois lui revenaient soudainement ... Rien n'y faire. Le mystère demeurait entier.

Brooklyn soupira. Il voyait les lumières du jour décliner à travers ses volets clos. Demains'annonçait comme une journée particulièrement éprouvante – son premier jour au lycée depuis l'explosion. Résigné à être une fois de plus le phénomène de foire que tout le monde dévisagerait, le garçon se glissa sous ses draps et ferma les yeux.

C'était un jour maussade qui se levait sur Comics Park. Finies les journées ensoleillées et les températures estivales : l'automne était maintenant là. Un peintre dépressif semblait avoir coloré le ciel d'un gris uniforme ; le vent qui se déchaînait au-dehors n'avait rien à envier aux plus violentes bourrasques, et ce même si un soleil spectral résistait encore et toujours face à l'envahisseur.

Brooklyn se leva avec la gorge sèche et la langue pâteuse. Pour la deuxième fois consécutive, il avait passé une nuit calme et paisible, vide de tout cauchemar traumatisant. Finalement, sa visite à l'entrepôt numéro 7 n'avait pas été totalement vaine ; même si elle s'était soldée par une explosion, elle avait au moins eu le mérite de faire le vide dans son esprit.