Nubiris - La Tour de la Gloire

Chapitre 14

Camouflé sous un rideau de brume, Brooklyn traversa la ville avec empressement, les entrailles lourdes mais le cœur soulagé. La boue chantait sous ses semelles, et la pluie détrempait ses traits. De nombreuses mèches blondes collaient à son front, comme si une araignée dorée essayait de lui arracher le visage, et son pull commençait sérieusement à prendre l'apparence d'une vieille serpillière.

Les conditions n'étaient pas idéales pour rendre visite à la fille qui lui plaisait.

Rien qu'à cette pensée, Brooklyn esquissa un faible sourire, aussitôt suivi d'une auto-flagellation mentale. Le garçon avait toujours tiré une extrême fierté de sa capacité à haïr l'amour. Il ne se privait pas d'asséner à ses amis ses remarques acerbes lorsque ces derniers tombaient sous les cils d'une fille ou face au sourire d'un garçon, et ne se lassait pas de répéter à qui voulait l'entendre que jamais, au grand jamais, on ne le verrait faillir sous l'étendard de « l'amour ».

Sans doute cela lui venait-il de l'enfance. Sa mère avait trouvé la mort après avoir accordé sa main à la mauvaise personne, et Julie n'avait jamais montré le moindre intérêt à l'idée de partager sa vie avec un autre homme que son neveu. Être capable d'aimer était un don auquel très peu de personnes pouvaient prétendre, et Brooklyn s'était toujours estimé chanceux d'être né sous la belle et froide étoile de l'indifférence.

Mais récemment, le blond avait vu ce cocon de solitude se lézarder sous les haussements de sourcils d'une brune incisive. À coup de regards méprisants et de soupirs exaspérés, Emma avait commencé à percer ses défenses, d'abord lentement, puis sans répit. À grand renfort de haches et de paroles désintéressées, la hautaine grande sœur de Ethan Luddington était parvenue à atteindre le cœur de celui que les Parksiates peinaient à considérer comme un être humain.

Brooklyn avait mis du temps à admettre que la brune lui plaisait – environ une demi-seconde. Dès l'instant où ses yeux avaient rencontré son doux visage, il avait su qu'elle serait en mesure de raviver son âme glacée. Mais s'était-il également douté qu'elle seule détenait le remède à la folie qui le rongeait ?

Bien sûr que non.

Frissonnant sous ses vêtements détrempés, Brooklyn descendit du tram en essayant d'occulter les idées noires qui ombrageaient son esprit. La petite maison des Luddington se découpait face à lui dans le brouillard épais. Sa silhouette noire avait des allures fantomatiques, et la rue adjacente était déserte. Furtivement, Brooklyn eut une pensée pour Quinn et Ethan qui devaient se demander où il était passé. Après toutes ces révélations morbides, disparaître de cette manière n'était peut-être pas la chose la plus raisonnable à faire, mais sur le coup, le garçon n'y avait pas réfléchi.

D'une démarche saccadée, il avança jusqu'au perron en tentant vainement d'ordonner la serpillière dorée qui baillait sur le sommet de son crâne. Hésitant, il leva le bras pour frapper à la porte quand il s'aperçut qu'elle était déjà entrouverte. Les notes lointaines d'une vieille balade pop des années 80 lui parvenaient avec faiblesse, accompagnées de ce qui s'assimilait au son d'une autruche qu'on égorge. Bien qu'il savait pertinemment qu'Emma n'entendrait rien, Brooklyn toqua fébrilement et attendit quelques instants que quelqu'un lui réponde.

Rien.

Il avait agi selon l'usage, avec le maximum de politesse que pouvait l'exiger la situation, mais il ne pouvait pas se permettre de perdre une seconde de plus. Ignorant la petite voix intérieure qui lui hurlait de faire demi-tour, Brooklyn s'avança d'un pas déterminé dans le salon bruyant et manqua alors de s'évanouir.

- Viens là, toi.

Quinn attrapa Ethan par l'oreille et le traîna négligemment jusqu'à l'ascenseur de verre. Ignorant ses reflux gastriques et ses nauséeuses protestations, elle écarta les quelques touristes qui se dressaient devant elle, provoquant ainsi une vaste vague d'indignation parmi la foule.