Je suis le Nubiris. Brooklyn devait se rendre à l'évidence. Il devait affronter la vérité. Je suis le Nubiris. Il ne pouvait plus lui échapper. C'était comme ça. Il le savait. Au fond de lui, il le savait depuis un moment.
D'un geste las, il balança quelques mots sur une feuille de papier froissée. Des brides de la conversation qu'il venait d'avoir avec la Fille de la Nuit ne cessait de lui revenir par flashs successifs. « Ton peuple », écrivit-il du bout de sa mine. « Rouvrir le portail », « retourner dans ton monde ». Il entendait parfaitement la voix de la fille résonner dans son crâne, aussi distinctement que si elle se trouvait encore derrière lui à lui souffler dans l'oreille.
Brooklyn commençait lentement à saisir la situation. Les monstres n'étaient pas des monstres – il s'agissait d'une sorte de race affiliée au genre humain et originaire d'un autre monde. En ouvrant les portes du dôme de métal, Brooklyn avait fendu le passage entre ce monde et celui des humains. Les HTS s'étaient alors précipités sur la brèche sous leur forme la plus grossière – la vague d'ombre qui avait fait sauter le laboratoire. C'était probablement à ce moment-là qu'intervint pour la première fois le Nubiris – sans doute la plus grande part de mystère de tout ce grand puzzle. Brooklyn ignorait toujours son lien avec lui ou même sa nature profonde, mais il était maintenant certain que tout y était lié.
La suite n'était que logique. Les créatures avaient cherché à retrouver le Nubiris car il représentait le seul et unique point d'encrage avec leur monde d'origine. À travers toutes leurs attaques et toutes leurs victimes, elles ne cherchaient en réalité qu'à se nourrir. Elles évoluaient dans cette ville perdues, désorientées, simplement à la recherche d'un moyen de rentrer chez elles. Cela pouvait expliquer pourquoi elles étaient tellement attirées par l'Ophidia, qui pouvait vaguement leur rappeler la consistance du portail. Ou bien même pourquoi elles s'étaient mises à arpenter le Métro Enseveli, qui était positionné au même niveau que les restes du laboratoire.
Cela paraissait tellement invraisemblable, tellement irréaliste – et pourtant, tous les éléments concordaient. La révélation lui tendait les bras. La réalité était bel et bien là.
Brooklyn déambula jusqu'à la salle de bain où il se posta devant le miroir. Au premier regard, il ne vit rien d'extraordinaire – seulement son reflet, celui d'un adolescent banal, très séduisant au demeurant, aux cheveux ternes et à la mine cirée . Puis, pendant une fraction de seconde, cette vision s'évanouit pour laisser place à une silhouette couverte de liquide noire, suintante, et monstrueuse – son apparence lorsqu'il sortait rejoindre la nuit. Brooklyn ne supportait pas de se voir comme ça. Pris d'un spasme, il envoya son poing valser contre le miroir, qui se brisa de milles éclats dans un concert assourdissant. Des goûtes de sang, d'abord épaisses et rouges, giclèrent contre le sol blanc, avant que ses entailles ne sèchent et tournent au noir. Brooklyn regarda sa main cicatriser en un clin d'œil ; les croûtes violâtres dont elle s'était habillée s'évanouir aussi vite qu'elles étaient apparues. Le garçon tremblait de la tête au pied. Tout était vrai. Tout était vrai, il le savait. Chancelant, pris de sueurs froides, il tituba jusqu'à la cuisine où il attrapa le téléphone et composa le numéro de Quinn. Il ne savait plus qui il était. Désorienté, il ne fut même pas capable de compter le nombre de sonneries qui le menèrent jusqu'au répondeur :
- A-A-Allo Quinn ? Je ... Je n'en peux plus, c'est trop dur pour moi, trop dur à vivre, trop dur à supporter. Et tu sais, je ... je ... (Il posa sa tête contre le mur de la cuisine et se laissa pathétiquement glisser sur le sol.) Je pourrais bien être un monstre.
Pour la troisième fois depuis le début de la matinée, Quinn tomba sur le répondeur de Brooklyn. Elle avait depuis longtemps appris qu'il ne fallait pas prendre au pied de la lettre les élucubrations de son ami. Brooklyn était d'une nature très théâtrale ; il avait une fâcheuse tendance à dramatiser la plus banale des situations. Un jour, elle avait reçu neuf appels et deux messages d'adieu parce que le personnage principal de sa série préférée venait de se faire tuer. C'était Brooklyn. Il avait l'habitude de tout exagérer. Pourtant, cette fois, Quinn sentait aux vibrations de sa voix que c'était différent.
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Nubiris - La Tour de la Gloire
ParanormalLa fin de l'été tombe sur la métropole fictive de Comics Park, et avec elle, une bien curieuse nouvelle : Alex Heigl, le célèbre scientifique, ange déchu haï par toute la ville, vient de se donner la mort. Même Brooklyn, son unique fils, semble sing...