Chapitre 31

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Brooklyn déchaîna ses pouvoirs autour des chaînes. Un incendie pourpre éclata au creux de ses paumes, de véritables sphères d'énergies concentrées explosèrent autour des mailles, des éclairs noirs s'échappèrent de ses doigts ... Rien y faire. Le métal ne céda pas. C'était comme si les pouvoirs du Nubiris ne l'affectaient pas. La cage d'ascenseur s'ouvrit et la silhouette de Jason Clare en sortit, la démarche augure, le visage triomphant. Dans un ultime élan de désespoir, Brooklyn rassembla ses dernières forces pour ériger une couche de plasma autour de sa peau. Même si son temps était compté, il voulait protéger son secret des griffes de Clare jusqu'à la fin. Emma caracola jusqu'à sa rencontre. 

– Le Nubiris est là, monsieur. Enchaîné avec des chaînes en acier pur, comme vous l'aviez demandé. 

– Tu as planté tous les poignards ? lui demanda t-il comme s'il ne l'avait pas écouté. 

Emma acquiesça. 

– Oui, j'ai suivi vos instructions à la lettre, mais rien ne s'est produit. Je pense qu'il va falloir puiser dans les forces du Nubiris. D'ailleurs, j'ai quelque chose à ...

 – Très bien. 

D'un geste vif, Jason Clare sortit un revolver de sa poche intérieure et tira un coup sec dans la direction d'Emma. La balle vint se loger entre ses deux yeux. Son regard trembla un bref instant avant de s'éteindre. Immobile, elle bascula alors en arrière avant de s'écrouler sur le sol, une flaque de sang semblable à une auréole autour de la tête. Brooklyn manqua de s'étrangler. De nouvelles larmes, brûlantes comme de la lave, s'écoulèrent sur ses joues. Morte. Elle était morte. Jason Clare tourna les talons et pointa le canon de l'arme en direction de Brooklyn. Il y eut quatre coups successifs – secs, puissants, meurtriers. Le garçon ferma les yeux, prêt à recevoir la mort salvatrice, quand il sentit l'étau le maintenant à ses chaînes se libérer.

 – Écoute-moi bien, monstre, cracha Jason Clare. Je sais que tu ne parles pas mais je sais aussi que tu comprends notre langue. Je suis un très bon ami d'Alex Heigl, tu te souviens de lui ? Oui, tu as l'air de t'en souvenir. Tu vois, ce que j'ai dans la main ? Un geste de moi et ta vie s'arrête. Donc tu vas m'obéir au doigt et à l'œil et en un rien de temps, chacun aura obtenu ce qu'il veut. Compris ? Bien. Maintenant lève-toi. 

Brooklyn voulait résister, s'opposer au ton augure de Clare mais il n'y arriva pas. Le canon argenté que l'homme-d'affaire pointait sur lui le dissuada d'opposer la moindre résistance. Aux premiers mouvements, une balle volerait dans sa direction, transpercerait ses deux peaux et mettrait fin à ses jours. Il mourrait ici, dans le laboratoire qui avait vu sa mère mourir – qui avait vu Emma mourir. Brooklyn se leva péniblement, encore sonné par le coup qu'on lui avait porté à la tête. Le plasma autour de lui était plus fin et moins opaque que d'ordinaire. Ses forces le quittaient peu à peu.

 – Ouvre le portail, ordonna Clare, presque dément. Conduits-moi à ton monde ! 

Clare savait des choses, mais il se trompait sur leur nature. Brooklyn était différent, mais il ne savait pas dans quelles mesures. Pourtant, au fond de lui, dans une case enfouie dans les abysses de son inconscient, ses mots lui parlaient. L'autre monde, le portail ... Ils résonnaient à son oreille comme une vieille mélodie qu'il aurait entendu pendant son enfance sans jamais la réécouter. Brooklyn ne le supportait plus. Il avait besoin de savoir, maintenant. Il ne pouvait plus vivre dans l'ombre. D'un pas désincarné, Brooklyn avança jusqu'au dôme de métal. Mué d'un instinct étranger, il leva les deux mains et les posa à plat sur le bloc de plasma. La surface, d'abord glacé, se réchauffa immédiatement au contact de sa peau. Brooklyn inspira un grand coup. Un sentiment étrange enflait dans sa poitrine. Ce dernier lui rappelait sa visite dans le Métro Enseveli, quand il s'était retrouvé face au grand mur de métal. Tout prenait sens, à présent. Le garçon se remémora la première fois où il avait libéré la fureur conservée par l'arche. Avec un peu de chance, le même phénomène se reproduirait aujourd'hui, et Brooklyn disparaîtrait en emportant le plus gros despote de Comics Park avec lui. Le Nubiris expira. Un mince filet de plasma en fusion s'écoula de ses paumes. De petites striures commencèrent à se dessiner à la surface du bloc glacé. Les bras de Brooklyn se mirent à trembler. La puissance contenue dans ses veines s'intensifia. Les fissures s'épaissirent. Une douce lumière s'en échappait maintenant, éclatante et pure. Sa chaleur tiède et diffuse réconforta Brooklyn un bref instant. Elle lui rappelait quelque chose – quelque chose de bien. Un cri rauque s'envola de la bouche du garçon. Brooklyn se laissa complètement emporter. L'immense énergie contenue dans son corps le submergea et explosa à l'extrémité de ses membres. Le laboratoire s'ébranla derrière lui. La surface du mur de plasma s'agita une ultime fois avant de voler en éclat. Pendant un bref instant, un vaste monde s'ouvrit aux iris du garçon. Comme en accéléré, il vit des plaines d'un bleu profond s'étaler devant lui, des étoiles rouges peupler par milliers un ciel pourpre, et des créatures, grandes et filiformes, à l'allure majestueuse et aux traits sublimes, se tenir face à lui. Puis une onde de choc repoussa Brooklyn et le renversa sur le sol. Ses mains séchèrent en un battement de cils ; le brasier qui faisait rage en lui s'éteignit. Dans son dos, Clare poussa une exclamation d'incrédulité. 

– Le portail ... murmura t-il, béat.

 L'homme-d'affaire rangea son arme et enjamba le corps du garçon pour rejoindre le dôme de métal. Son apparence avait de nouveau changé. Elle n'était ni dure, ni déchaînée comme la première fois. Pas plus liquide que gazeux, sa profondeur semblait infinie et de fines vagues pourpres et noires ondulaient contre son épiderme. Brooklyn ne pouvait en détourner le regard. Il était hypnotisé. – Il est finalement ouvert. Jason Clare s'appuya contre la structure métallique de l'arche. La lumière dispensée par le portail lécha son visage et colora ses traits de pourpre. Pendant qu'il lui tournait le dos, Brooklyn essaya de le viser entre les omoplates, mais ses pouvoirs ignorèrent son appel. La sensation était déconcertante. C'était comme s'ils n'avaient jamais été là. Avait-il épuisé toutes ses réserves en brisant le bloc de plasma ? Pris de panique, il réalisa alors que ce n'était plus qu'une question de secondes avant que sa seconde peau ne s'évanouisse. Brooklyn remua faiblement ; Clare l'ignora. L'homme était absorbé dans la contemplation du portail. Brooklyn se demanda s'il voyait les mêmes choses que lui : ces terres étranges et ces êtres splendides à l'air si décontenancé. Fébrilement, la main de Clare se leva et disparut parmi les vagues. Brooklyn s'attendait à le voir s'effondrer de douleur, la main sectionnée par la puissance du portail, mais l'homme-d'affaire avait l'air parfaitement serein. Comme s'il plongeait dans un bain, il avança alors de quelques pas et son corps entier bascula dans l'inconnu. Brooklyn était stupéfait, choqué, complètement retourné. Pendant quelques secondes, il attendit avec espoir que le portail recrache le cadavre calciné de Jason Clare mais rien ne se produisit. Le garçon ne perdit pas plus de temps à ne rien comprendre. Saisissant sa chance, Brooklyn ignora la douleur et se releva d'un bond. Le laboratoire tournoyait autour de lui. Il devait se dépêcher. Rassemblant ses dernières forces, il attrapa le cadavre d'Emma et courut de toutes ses forces jusqu'à l'ascenseur. Au même moment, les portes s'ouvrirent, comme si l'univers avait estimé que le garçon en avait assez bavé et qu'il méritait enfin un petit coup de pouce. 

– Brooklyn ! s'écria Quinn en sortant de l'ascenseur. 

Elle se jeta dans ses bras. 

– Mon père m'a vu toute seule pendant la visite et il m'a fait monter dans son bureau pour me parler puis il a disparu dans un ascenseur plutôt bizarrement caché et j'étais intrigué et oh j'étais si inquiète pour toi je me demandais ce qui pouvait bien se passer alors j'ai réalisé que vous étiez peut-être ensemble et du coup j'ai ...

Ses yeux tombèrent sur le trou béant qui creusait le crâne d'Emma Luddington. 

– Brooklyn ... C'est ... C'est ? Oh Brooklyn, que s'est-il passé ! 

Brooklyn lui força le passage dans l'ascenseur, portant toujours le cadavre d'Emma et écrasa son poing contre le bouton relevé. Quinn avait le visage tuméfié, mais elle ne s'y opposa pas – le temps des explications viendrait plus tard. Les portes se refermèrent avec une lenteur surnaturelle. Au loin, dans le minuscule interstice qui séparait les deux battants, Brooklyn aperçut la haute silhouette de Jason Clare émerger du portail. Derrière lui, dans son ombre, se tenait une autre personne. 

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant