Chapitre 18

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Les talons de Marjorie Collins s'enfoncèrent dans la boue dans un chuintement écœurant. Parker, son cameraman, caracolait péniblement derrière elle, les bras chargés d'outils et de gadgets dont elle ne comprenait même pas le fonctionnement. Ils vagabondaient dans les rues de Comics Park depuis que la lune avait atteint son zénith, et elle commençait sincèrement à en avoir assez.

Pour commencer, le temps était horrible. La pluie n'avait cessé de tomber depuis des heures et un épais brouillard recouvrait les bas-fonds de la ville, comme si quelqu'un y avait jeté un voile. Marjorie ne comprenait toujours pas pourquoi on les avait envoyés enquêter dans des conditions aussi horribles – en particulier avec un effectif aussi réduit. La rédaction réservait normalement ce genre de besogne aux stagiaires. Décidément, plus rien ne tournait rond, ces temps-ci ...

- Quelle heure est-il ? demanda t-elle. Combien de temps nous reste t-il avant que cette pintade d'Anna et son équipe de bras cassés ne prennent le relais ?

Parker dégaina son téléphone en faisant tomber quelques accessoires et répondit dans un couinement plaintif :

- Cinq heures trente. Plus qu'une demi-heure.

Il s'agenouilla sur le sol pour ramasser son équipement. Marjorie balaya la nuit d'un regard circulaire. Encore une ruelle vide ...


Les griffes informes du monstre crissèrent contre la pierre de l'immeuble. La lumière de la lune l'aveuglait légèrement, et chaque nouvelle goûte de pluie était un supplice ...


- Bougeons d'ici, s'écria Marjorie. Il n'y a rien d'intéressant.

- Il n'y a rien d'intéressant nul part, lui fit remarquer Parker. Tu sais bien ce qu'on dit, l'info se cache quand on la cherche.

Marjorie fronça les sourcils et se tourna vers son cameraman.

- Qui dit ça ?

Parker ébaucha un sourire innocent.

- Moi.


Un bruit s'éleva ... Un bruit s'éleva du bas, du bas ... Comme un petit cri strident, un babillage suraiguë. La créature se pencha à l'extrémité de l'immeuble. Des silhouettes brillaient dans la nuit, comme un halo à travers la pluie ...


La reporter étouffa un rire goguenard. À cette heure-ci, elle avait du mal à contrôler ses nerfs.

- Je t'en supplie Parker, reste toujours derrière la caméra.

Le sourire du garçon s'élargit encore un peu plus. Plaisanter aidait un peu à supporter le froid.


Lentement, presque avec grâce, la créature se laissa couler depuis le haut du bâtiment. Elle s'allongea dans les airs, déformée par le vent,pour atterrir paisiblement sur le sol. La chose se redressa de tout son long, faisant craquer son épine dorsale dans un horrible claquement. Immobile, elle resta figée quelques instants, le temps de jauger ses prochaines victimes ...


Marjorie éclata de rire.

- Tu ne peux pas me sortir ça comme ça et espérer que je ne te dise rien ! Je suis ta supérieur, voyons. Hein, Parker ? Parker !

Même dans la nuit, Marjorie avait vu les traits de Parker blêmir. Son visage lunaire, jusqu'alors coloré par le froid, avait pris la teinte des nuages, et si la jeune femme n'avait pas vu la peur s'immiscer dans son regard, elle aurait pu le croire mort sur le coup.

- Ma ... Marjorie, balbutia t-il, au bord de l'évanouissement, derrière toi.

Marjorie se retourna lentement. Un nuage de fumée, violet et opaque, flottait devant eux. C'était cent fois plus impressionnant en vrai – rien à voir avec les descriptions qu'on lui en avait faites. Les volutes flottaient à quelques centimètres du sol comme une entité vivante. Des étincelles volaient dans tous les sens et la masse donnait presque l'impression de les regarder.

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant