Chapitre 11

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Brooklyn admirait la ronde de la lune à travers les vitres. Ses yeux dorés embrassaient les paysages urbains de Comics Park ; son rythme cardiaque, le vrombissement du tram. Jamais il ne s'était senti aussi fiévreux, aussi impatient à l'idée de manger des nouilles. Bien sûr, Emma n'y était pas étrangère. Le parfum de ses cheveux, la teinte ambrée de sa peau, la courbe délicate de ses lèvres ... Brooklyn s'en voulait terriblement d'être aussi niais – en particulier avec une personne qui se montrait au moins aussi désagréable que lui –mais il n'y pouvait rien. Depuis qu'il avait vu Emma penchée sur son lit d'hôpital, elle s'était gravée dans sa mémoire. Immuable,inoubliable ; comme un tatouage inscrit sur la peau, un poème tracé à l'encre indélébile. Brooklyn soupira. Il haïssait ce sentiment de faiblesse qui dansait souvent avec l'amour.

Son portable vibra. Il glissa la main dans la poche de sa veste – c'était un message de Quinn :

« On vient juste d'arriver. Ça te dérange si on rejoint directement Emma ou tu préfères que l'on t'attende ? Réponds vite, j'ai froid. »

Comme cela arrivait une fois tous les trois siècles, le tram qu'avait voulu emprunter le trio en quittant Lillywood avait été déclaré trop chargé pour accueillir ne serait-ce qu'une personne de plus. Après une partie de pierre-feuille-ciseau endiablée, c'était Brooklyn qui, malgré ses deux premières manches brillamment menées, avait été désigné pour attendre le prochain. Conformément à la loi active à Comics Park, le délai entre l'arrivée de deux trams ne pouvait excéder les trois minutes, aussi, le blond avait accepté sa sanction en bon joueur (même si son exécution du ciseau avait clairement été la meilleure).

Brooklyn, les cheveux dressés sur la tête à force d'y avoir passé la main, s'apprêtait à répondre quand un violent choc le projeta en avant. Les quelques passagers présents dans le véhicule se tombèrent les uns sur les autres en poussant des cris de panique. Bientôt, les lumières de leur wagon s'éteignirent à l'unisson, plongeant les Parksiates dans le noir et le doute le plus complet.

Brooklyn, les quatre mains posées au sol, se redressa péniblement. Son front avait heurté une barre métallique lorsqu'il s'était fait éjecter de son siège. Son téléphone, dont l'écran venait d'être réduit en morceaux, gisait à ses pieds, décapité. Le garçon balança un regard autour de lui. La plupart des gens s'était eux-aussi relevés. L'un d'entre eux – le plus gros, remarqua Brooklyn – s'avança vers une des portes automatiques et appuya sur le bouton qui en commandait l'ouverture. Voyant que rien ne se passait, il se retourna et s'exclama :

- Plus rien ne marche ! La source d'électricité qui alimentait le tram a dû se rompre.

- C'est impossible, protesta une blonde à sa gauche, chaque véhicule possède son propre groupe électrogène. Il y a forcément eut un accident !

Brooklyn jeta son regard à travers la fenêtre. En-dessous d'eux, les eaux paresseuses de l'Ophidia miroitaient à la lueur des étoiles. Ils se trouvaient donc sur un des ponts qui rejoignaient l'Île de la Mère. Rien qu'à cette pensée, ses mains se mirent à trembler.

- Que fait-on ? reprit le Gros-Monsieur. On appelle les secours ? On casse la fenêtre et on se sauve ?

Plusieurs passagers opinèrent en faveur de la première option. Un homme s'apprêtait à composer le numéro des pompiers quand une vieille dame hurla :

- Regardez là-bas, dans les grilles de ventilation ! De la fumée violette !

Brooklyn écarta les autres d'un geste de la main pour s'assurer une place au premier rang de ce terrifiant spectacle.

Oh non ...

À travers les grilles se profilait la silhouette bouillonnante d'un nouveau monstre.

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant