Chapitre 28

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L'air se déchira sous la pression de son corps. Brooklyn sentit son pieds'accrocher à une brique, brièvement, avant de retrouver la quiétude périlleuse d'une chute sans attache. Il sentait ses paumes le démanger, comme si sa peau se craquelait peu à peu. De la lave en fusion s'écoulait de ses veines et il peinait à sentir ses propres os tant son corps était endoloris.

Mais il s'en moquait. Plus rien n'avait d'intérêt, maintenant.

Brooklyn s'agrippa au haut d'un immeuble et se projeta dans la ruelle adjacente. Deux gros points rouges éclataient dans la pénombre, brillant avec l'éclat de deux minuscules disques solaires. Brooklyn avança, imperturbable. Il sentait la créature respirer faiblement et son énergie vitale décliner peu à peu. Le plasma qui recouvrait la peau du garçon se replia pour laisser apparaître la lame d'un poignard. Brooklyn leva le bras ; l'arme scintilla au-dessus de sa tête. Un cri déchira la moiteur de la nuit. Il y eut un bruit de sussions, le vent claqua – le monstre avait disparu. Un instant après, Brooklyn chevauchait de nouveau les bourrasques.

Le frisson de la chasse lui avait manqué. Il avait oublié le sentiment d'exaltation qu'accompagnait toujours le meurtre d'une créature. Après qu'Emma ait appris son terrible secret et décidé de couper tout contact, Brooklyn s'était juré de ne jamais réutiliser ses pouvoirs.

Il avait tenu huit jours.

Ça avait été huit jours longs, huit jours effroyables, au cours desquels le garçon avait eu du mal à contrôler les flots d'énergie qui circulaient dans son corps. Puis les journaux télévisés avaient annoncé de nouvelles attaques, et Brooklyn n'avait eu d'autre choix que d'achever la mission qu'il avait commencé.

Il était dehors depuis le crépuscule. Il avait vu un millier d'étoiles s'allumer au firmament alors qu'il redécouvrait doucement le sentiment de liberté que lui procurait toujours la nuit. Ses pouvoirs n'étaient peut-être pas naturels mais ils étaient nécessaires.

Mes pouvoirs sont hideux mais je dois m'en servir.

Voilà l'unique pensée qui l'habitait alors qu'il parcourait les rues à la recherche des créatures. Chaque fois qu'il ressentait l'appel de l'une d'entre elle, son cerveau passait en mode pilotage-automatique et il n'avait plus qu'à se laisser guider. Il pourfendait, tailladait, tranchait. En une nuit, deux poignards avaient tourné au noir complet. Brooklyn se sentait bien.

Malgré lui, il finit par dériver jusqu'au quartier des Luddington, où leur vieille maison se confondait dans l'obscurité. Aucune lumière n'émanait de la chambre d'Emma, et ce fut seulement quand Brooklyn se surprit à vouloir entrer vérifier qu'elle allait bien qu'il jugea préférable de retourner à la maison se reposer un peu.

Comme d'habitude, il avait laissé sa fenêtre légèrement entrouverte avant de partir. Sans un bruit, il se laissa glisser sur le sol de sa chambre, où le plasma autour de son corps s'évanouit instantanément. Aussi satisfaisant que pouvait être l'utilisation de ses pouvoirs, il n'était pas mécontent de sentir à nouveau l'air frais courir à la surface de sa peau. Brooklyn déboutonna son pantalon et le laissa tomber sur ses pieds. Puis il ôta ses chaussures, son t-shirt. C'était comme une renaissance. Jusqu'ici, il n'avait pas réalisé à quel point il était exténué. Sans plus de cérémonie, il se jeta pour rejoindre la tendresse de ses draps, apaisé par leur odeur de lessive et la tiède chaleur qu'ils diffusaient. Brooklyn ferma les yeux. Ses paupières le faisaient souffrir. Il les rouvrit. Même s'il se savait en sécurité dans l'habitacle de son lit, il n'arrivait pas à ralentir le battement de son pouls. Ses oreilles sifflaient. Apparemment, il avait trop forcé,cette nuit.

Le garçon se retourna, les yeux rivés devant lui. Les lumières ternes de la rue éclairaient son plafond d'une lueur orangée. Brooklyn voyait flou. Parfois, ses iris tremblaient et les couleurs s'évanouissaient. Il était dans le noir. Mais le noir dansait pour lui. Fallait-il s'inquiéter ?

Brooklyn se coucha sur le flanc, pointant vers la fenêtre éclairée, et eut immédiatement un mouvement de recul. Son dos heurta la table de chevet alors que les draps s'emmêlèrent autour de ses pieds. Il cligna des yeux. Elle avait disparu. Mais Brooklyn ne pouvait pas avoir rêvé. Il avait bien vu une silhouette sombre se découper devant sa fenêtre. Une silhouette longiforme, souple. Une silhouette qu'il reconnaissait vaguement.

Il n'avait pas rêvé, n'est-ce pas ? Elle était vraiment là,non ?

 Il ne pouvait pas avoir rêvé. 

Nubiris - La Tour de la GloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant