Comment ça, qu'ai-je fait ? Comme si tout ce qui m'arrivait était de ma faute ! Que je sache, je n'ai rien demandé, quand le garde est venu me chercher, ce soir-là ! Je n'ai rien demandé, quand on m'a ordonné de réveiller la magie, ni quand on m'a caché toute la prophétie !
— Je... Je ne comprends pas, Altesse...
Le regard de mon souverain est à faire trembler les morts. Je rencontre enfin le roi craint de tous, l'air déterminé et impitoyable.
— Venez, tous les deux, dit-il d'un air sombre.
Nous obéissons sans hésiter. Le prince ne semble pas aussi apeuré que moi, mais plutôt inquiet – ce n'est certainement pas la première fois qu'il voit son père dans cet état. Il me prend la main, se voulant certainement rassurant.
Le roi nous emmène parmi des escaliers de plus en plus sombres et humides, si bien que je suis persuadée que nous sommes sous terre. Je manque de glisser par moments, mais Adrian me rattrape, et me guide dans les couloirs dangereux. Nous débouchons sur une longue allée en pierre, faiblement éclairée par une seule et unique torche. L'endroit est sinistre et glacial, et je me rapproche un peu plus du prince, sur mes gardes.
Au bout de ce couloir interminable se trouve... un trou. Les murs s'arrêtent subitement, comme si la construction n'avait pas été achevée, et face à nous se dresse une cavité de terre, qui semble bien trop profonde pour être normale. Semblable à une gueule, il est impossible de distinguer le fond, et donc d'en déduire une taille exacte.
— Eh bien ? demande le prince, apparemment aussi désorienté que moi.
— Eh bien il se passe qu'avant aujourd'hui, ce trou n'existait pas, répond son père d'une voix dure.
— Impossible. Personne ne peut creuser pareille cavité en une nuit.
— Mon fils, je t'assure que hier encore, un beau mur solide clôturait cet endroit.
— Qu'ai-je à voir là-dedans ? couiné-je.
— Qui veux-tu que ce soit d'autre ? Au moment même où tu es sortie dehors, les sous-sols se sont mis à trembler. Quand mes hommes ont découvert la source de cet évènement, ils sont tombés sur... ça.
— Mais je n'ai rien à...
— Comment voulez-vous qu'elle aie créé ça alors que, comme vous l'avez si bien dit, elle était dehors ? me coupe le prince.
— Ce n'est pas moi qui manie la magie.
— Ce n'est pas elle qui la contrôle.
— Je suis sûr qu'elle a un lien !
— Non, père, enfin !
Je laisse les deux hommes se disputer et les contourne, marchant vers ce néant noir. Mes émotions m'ont abandonnée. Ils ne me remarquent même pas, occupés à hurler. Je suis détachée d'eux, et leurs sons me parviennent en sourdine, jusqu'à disparaître totalement. Je suis comme attirée par cette cavité, j'ai le sentiment qu'elle m'appelle, qu'elle me demande... Je marche avec lenteur, dans un état second, comme dans un rêve. Je suis légère, légère, tandis que mes pas sont incroyablement lourds. J'ai l'impression qu'une petite voix m'appelle, là, dans l'obscurité, que quelqu'un m'attend. Plus j'approche de mon but, plus mon attirance se fait pressante. Mes pensées se focalisent sur cet appel, sur ce gémissement qui semble articuler mon nom.
— Ciel... Ciel...
Qui est-ce ? Je n'en sais rien. Je n'entends plus rien à part cette voix, je ne vois plus rien à part ce noir. Je me perds moi-même dans cette direction, je me perds dans mes pas alors qu'eux savent où aller. Mon corps pense, ma tête obéit. Je me sens tomber. Non – plus exactement, je me sens chuter. Involontaire. Je n'ai plus la notion du temps, j'oublie mes sens. Aller là-bas. Cet endroit invisible et sans fin m'appelle. Cette petite voix qui supplie plus qu'elle n'ordonne, mais à qui j'obéis sans même hésiter. Ce n'est pas le timbre d'un homme ou d'une femme, c'est la note brisée, tremblante et hâtante de la folie.
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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...