— J'en suis incapable, tu le sais bien. Tu est gravé à jamais en moi, Yanos... Tu es mon premier et unique meilleur ami. Tu as toujours été là pour me consoler, m'aider, m'accompagner, mais aussi me secouer, me remettre sur le droit chemin et me réprimander lorsqu'il le fallait. Je ne peux pas te perdre, et tu ne peux pas me quitter. Reste. S'il te plaît, reste. Nous sommes plus forts que la jalousie et les aléas. Notre amitié est plus forte que ça...
Je suis à bout de souffle. Pourtant, je n'ai pas dit un mot.
J'aurais tellement aimé lui dire tout ça.
Malheureusement, tout ce que j'arrive à articuler se perd dans ma gorge.
— P... Peux pas t'oublier... Je t'aime...
— Je sais que tu m'aimes. Mais pas comme j'en ai besoin. Tu m'aimes comme un ami, je t'aime... autant qu'un cœur en est capable. Et sachant que celui des loup-garous est très grand et très impulsif, ça fait vraiment, vraiment beaucoup.
Son regard devient si sombre qu'il se confond avec l'obscurité ambiante.
— Les relations, c'est à double sens. Et nous, nous n'entretenons pas le même type d'affection. Un jour ou l'autre, ça va craquer... Tu comprends ?
— P... Pourquoi tu m'annonces ça juste... juste avant mes noces ?
— Je comptais le faire après, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Je n'étais pas sûr d'avoir l'occasion. Et je ne pouvais plus le garder... Sans jeu de mot, ça fait un mal de chien de garder une telle chose en soi aussi longtemps.
— Yanos...
Incapable de rester ainsi une seconde de plus, je fais un pas en avant et me jette dans ses bras. Je ne lui laisse pas le temps de me repousser et l'étreins de toutes mes forces, m'accrochant à son cou comme à mon dernier espoir.
Combien de fois ai-je prié pour ne pas le perdre ? J'ai toujours réussi à me battre, à me démener pour le sauver et le garder. Et aujourd'hui... je ne peux plus rien faire. Il ne s'agit plus de mon choix, mais du sien ; et même si c'est incroyablement douloureux de l'admettre, je me dois de le laisser s'en aller.
Son odeur boisée titille mes narines, et j'inspire à fond pour m'en imprégner. J'aimerais tellement ne jamais l'oublier.
— Si tu savais combien je tiens à toi..., murmure la voix enrouée de Yanos dans mon épaule. Et c'est justement pour ça que je ne peux pas rester.
Il renifle, et je comprends à ses respirations qu'il est en train de pleurer. Mon Yanos ! Mon Yanos pleure ! Et je n'ai même le pouvoir de sécher ses larmes...
— Vas-y, Ciel, s'il te plaît. Retourne te préparer.
Je bute sur son ton froid. Mince, qu'est-ce que j'ai encore fait de travers ? Yanos, contrairement à Adrian, n'a jamais rien eu contre les câlins spontanés. Serais-je encore en train de me méprendre à son sujet ?
— Si tu continues à me câliner, je risque de ne plus jamais te lâcher, explique-t-il.
Et si c'est ce que je veux ?
J'ai un mal fou à prendre sur moi. Je contiens toute cette peine et toute cette frustration et, à contre-cœur, dénoue mes bras. Yanos inspire comme si je venais de l'autoriser à respirer de nouveau, et me repousse doucement pour mettre de la distance entre nous.
Une douleur physique et étonnamment tenace me pince dans la poitrine, au niveau du cœur. Est-ce mes émotions qui se répercutent droit sur mes nerfs, les écrasant dans du verre pilé ? Est-ce la place de Yanos qui s'arrache, égratignant ma chair et mes organes comme une louve enragée ? Est-ce mon sang qui ne sait plus dans quel sens avancer sans mon garde aux yeux verts pour le guider ? Pourquoi suis-je soudain si perdue ?

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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...