Je reste immobile encore plusieurs minutes, incapable de faire le moindre geste. Cette scène ressemblait trop à des adieux – et à cet instant, je me rends compte à quel point Clarté est importante pour moi. Elle est mon élément, la mère de mon âme, la créatrice de mon existence même. Comment ferai-je sans elle ? Sans sa présence ? Sans sa voix qui me chuchote des paroles rassurantes lorsque je me sens faiblir ?
Je cligne des yeux pour retenir les larmes qui menacent de déborder. Je dois descendre, retourner dans ma chambre, retourner parmi les miens. Retrouver Adrian, lui répéter ce que Clarté m'a appris, et lui dire à quel point je l'aime.
Pourtant je ne bouge pas. Je suis si près du ciel, si près des nuages, j'ai l'impression qu'en tendant les doigts je pourrais le toucher, je pourrais l'atteindre. Un peu bêtement, je lève le bras en l'air, mais je ne sens rien à part l'air frais de la nuit. Même le firmament est trompeur.
J'essaye de remettre mon coeur en place et de trouver un peu de paix dans le chaos qui m'agite. « Il n'y a pas qu'un seul sang, et aucun n'est mêlé ». Qu'est-ce que ça peut bien dire ? Pourquoi encore des mystères ?
Oh, et puis, je suis trop éreintée pour réfléchir. J'abandonne l'idée d'élucider cette phrase maintenant et laisse mon esprit vagabonder. Naturellement, il se tourne vers Adrian, comme souvent – je me demande parfois si c'est normal d'autant penser à quelqu'un. Son visage me vient à l'esprit, et automatiquement, une douce chaleur s'empare de ma poitrine et se répand dans mes nerfs. J'ai l'impression que mon ventre fait un salto arrière, et je ne peux m'empêcher de chuchoter son nom, comme s'il était la solution à tous ces problèmes.
J'inspire profondément, trois fois, puis me résigne à quitter mon échappatoire. Je tire la porte en bois et m'engouffre dans les escaliers, que je descends bien plus doucement que je ne les ai montés. Mes pas résonnent, talon contre pierre, et se répercutent autour de moi. Les ondes tapent dans mon crâne, éclatent mes tempes, se tordent et se distordent dans mon esprit. Pourtant, je continue, inlassablement, marche après marche. Mes jambes me paraissent si lourdes, et ma tête si légère – je vois trouble.
J'arrive, et peut-être un peu par miracle, au bout de cet interminable ascension. Telle un fantôme, je déambule dans les couloirs, mes pieds me guidant d'eux-mêmes. Je me sens déconnectée de la réalité, comme si tout était faux, comme si j'étais en plein délire. Et mes pieds qui résonnent encore.
Je ne me souviens pas vraiment d'avoir poussé les portes de ma chambre, ni même d'être rentrée dedans, mais je fais un brusque retour à la réalité lorsque je vois Adrian assis sur mon lit, tête entre les mains.
— Déjà là ? dis-je d'une voix lointaine qui ne me semble pas m'appartenir.
Il redresse le menton et plante son regard droit dans le mien, si franchement que c'est à m'en donner des frissons. Ses yeux sont rouges, injectés de sang, et ses joues brillent d'une myriade de larmes. L'une de ses boucles brunes s'est collée à son visage, et ses lèvres tremblent incontrôlablement.
— Ciel...
Je reste immobile quelques secondes, ne sachant comment réagir. Mais que s'est-il passé ? Pourquoi Adrian pleure ? Adrian pleure ! Qu'est-ce que je dois faire ?
— Ciel, s'il te plaît, dis-moi que tu m'aimes...
— Quoi ?
Il se lève d'un bond et se place devant moi en quelques enjambées, tout proche, sans pour autant que nos corps se touchent. Mon visage se lève pour continuer à le fixer, sans comprendre la raison de sa tristesse. Quelqu'un lui a-t-il fait du mal ? S'est-il passé un drame lors de mon absence ? Mais qu'est-ce qui est donc arrivé ?
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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...