Nous sommes rentrés pour le petit-déjeuner. Heureusement, Yanos dormait encore, et n'a pas remarqué que j'étais partie avec le prince. En revanche, mes parents étaient réveillés, et mon père a arqué un sourcil en nous voyant nous faufiler en souriant dans la maison.
— Ciel ? Où étiez-vous ?
— Je suis allée lui montrer le lever du soleil sur la colline.
Il jette un coup d'œil vers les combles, là où ronfle Yanos.
— Ne lui dit rien, s'il te plaît. Je... je le ferai moi-même.
— Mm... Allez, à table. Quelqu'un va réveiller le garde ?
— J'y vais, répond ma mère de sa voix douce.
Elle part d'une démarche légère, le regard amusé.
Mon père fait des aller-retours de ses yeux entre Adrian et moi. Je rougis violemment ; j'ai l'impression qu'il sait ce qui se passe entre nous. Il finit par hausser les épaules et se diriger vers la cuisine pour prendre des assiettes.
Je marche vers le sac de riz, que j'ouvre. J'attrape une casserole, la remplis d'eau, puis verse suffisamment de nourriture pour nous cinq. Je pose la marmite au-dessus de la cheminée, suspendue par un crochet.
Ma mère revient, traînant derrière elle un Yanos l'air fatigué. Il me fait un clin d'œil complice lorsqu'il me voit, et je déglutis, songeant à ce que j'ai fait avec le prince.
Il n'y a vraiment que moi pour me fourrer dans pareilles situations.
Adrian s'approche sans bruit de moi, et s'accroupit à mes côtés devant le feu. Je remue distraitement le riz, songeant à la meilleure manière de résoudre mes problèmes – ou du moins, la moins mauvaise.
— Ça va ?
Je m'apprête à dire que oui, tout va bien, je me sens simplement fatiguée, mais en réalité je n'en ai même pas la force. Je secoue négativement la tête, les yeux picotant de larmes naissantes.
Il me frotte le dos, le regard un peu désemparé, chuchotant des mots apaisants que je n'entends même pas. Je m'efforce de remuer le déjeuner sans rien laisser paraître. Mais c'est sans compter sur Yanos qui s'assoit, lui aussi, devant la cheminée, les sourcils froncés d'inquiétude.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Je me lève d'un coup. Je ne veux pas répondre, je ne peux pas. Je m'éloigne d'eux à grandes enjambées, envahie par les remords et la confusion. Je sors de la maison, puis me mets à courir, sous les cris de mon père qui me demande où je vais. Je ne songe même pas à ma direction, j'essaye simplement de mettre de la distance entre les deux hommes et mes sentiments. J'expulse tout ce que j'ai, je déverse toute mon énergie dans mes pas.
Pour la première fois, j'appelle la magie de mon plein gré, je la force à entamer ma transformation. Mon corps réagit au quart de tour, s'enflammant de douleur. Je hurle, gardant le rythme de ma course malgré tout. Mes ailes apparaissent instantanément, dans une explosion de puissance. J'en ai besoin, j'ai besoin d'évacuer quelque chose, j'ai besoin de sentir l'énergie mystique circuler dans mon corps.
Mais le processus va beaucoup plus loin que je ne l'imaginais. La douleur s'étend dans tout mon corps et irradie. Ma vue devient floue, aveuglante, et je manque de trébucher. Je suis dans une forêt, il fait sombre, et les arbres se dressent autour de moi comme des fantômes.
Mon pied s'entrave dans quelque chose – une branche, un rocher, peu importe ; je ne vois plus rien – et je m'étale de tout mon long. Je sens des ronces écorcher ma peau, et combinée avec l'incendie qui parcourt mes membres, la douleur est insupportable. Je n'arrive pas à crier, la voix bloquée dans ma gorge.
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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...