32. Clarté

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J'ai fini par me calmer, après d'interminables et douloureuses minutes. Les jambes tremblantes, la gorge nauséeuse, le front en sueur, je me suis levée et j'ai titubé jusqu'à l'une des chaises autour de la table, sur laquelle trône notre petit-déjeuner avec fierté. Yanos s'est empressé de me rejoindre pour me servir du thé, avec une politesse exagérée, et un faux sourire coincé sur le visage. Ma crise a laissé une ambiance de plomb dans la pièce, mais je suis trop retournée pour m'en soucier.

Cela fait maintenant plusieurs minutes que je suis assise, silencieuse, mangeant sans appétit et buvant sans savourer. Ma langue a comme perdu sa sensibilité – un peu comme mon cœur, à cet instant. La tristesse s'est trop gorgée, je ne peux plus rien absorber, plus rien ressentir à part ce déchirement interminable.

Adrian ne revient pas. Il est parti, j'en suis sûre. Il est mal à l'aise quand quelqu'un pleure, et mes questions l'assommaient. Et, surtout, c'est sa faute si Yanos est condamné.

J'espère qu'il se sent coupable. Même si Yanos n'aurait jamais dû parler de la sorte à son souverain, la mort... la mort est une peine trop lourde, trop injuste.

Ça n'est même pas une punition – on n'en tire aucune leçon. On n'en retire rien, à part la mort.

Je ferme les yeux brièvement, tâchant de garder mon sang-froid.

— Je suis désolé..., chuchote Yanos en replaçant une mèche rousse derrière mon oreille.

— Pour quoi ?

— Je ne sais pas. Pour tout. Pour m'être emporté, contre toi, contre le prince. Pour ne pas être à la hauteur de ce que tu attends.

Je recule légèrement pour mieux le dévisager. Est-ce qu'il est sérieux ? À la hauteur de ce que j'attends ? Mais je n'attends rien de lui, au contraire, c'est moi qui ne lui donne pas assez.

— Yanos, ne redis plus jamais ça. Je ne demande rien de ta part, je n'ai pas besoin de quoi que ce soit. Tu es gentil, prévenant, empathique, aimable, même quand tu n'as pas à l'être. Mieux encore : tu me supportes.

Un petit silence s'installe, et au moment où ça commence à devenir gênant, il éclate d'un rire contagieux. Je ne tarde pas à le suivre, hilare, renversant par mégarde ma tasse de thé.

— Oh, pardon, je suis désolée ! je m'exclame en voyant le liquide se répandre sur ses cuisses et sur ma robe blanche.

— Ce n'est pas grave, ce n'est plus très chaud, de toute façon.

Il s'essuie, puis tend le mouchoir vers moi avant de suspendre son geste.

Il me lance un regard interrogateur. Il me demande la permission d'éponger les taches sur mon vêtement.

« Ciel, il a l'air d'être un garçon bien. »

La voix de Fantine surgit de ma mémoire. Elle m'avait dit ça lorsque Yanos m'avait attendue, derrière ma porte, alors que je me préparais. Je ne pensais pas qu'elle puisse avoir autant raison.

— Vas-y, acquiescé-je. J'irai me changer plus tard.

Alors doucement, avec des mouvements précautionneux, il glisse son mouchoir le long de mes jambes, sur le tissu désormais plus marron que blanc.

Mes joues s'enflamment, et mon cœur, jusqu'ici emplit uniquement de peine, bascule immédiatement vers... une sorte de bonheur, au fait qu'il soit là, à s'occuper de moi.

Oh non Yanos, je n'attends rien de toi, mais j'adore quand tu me donnes.

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