64. L'abandon de Ciel

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Je suis incapable de dormir. Enroulée dans mon immense lit démesuré, me tortillant entre les draps de lin et de soie, le front perlant de sueur, je suis incapable de dormir. La pièce est trop chaude, mon corps est trop chaud, mon esprit est bouillonnant, et Morphée a décidé de me faire languir.

Je suis trop torturée par les interrogations. Si je continue, mes neurones vont se griller et je vais devenir folle. Je sens déjà une vilaine nausée me tarauder les tempes et me clouer la gorge. Ma cage thoracique se compresse autour de mes poumons, m'empêchant de respirer correctement. Et cette sueur, toute cette sueur, qui colle mes cheveux sur mon visage et qui perle entre mes cils.

Il fait chaud. Bien trop chaud. Mais est-ce l'air ou est-ce moi ? Je suis oppressée et suffocante. J'ai l'affreuse sensation de tomber et de tourner, alors que je suis immobile, si on exclut ma poitrine qui se soulève à un rythme soutenu. J'inspire, mais l'atmosphère est accablante. J'expire, mais mes bronches sont râpeuses. Comme du papier de verre qui se frotte sur chaque cellule de mon corps en contact avec de l'oxygène. C'est douloureux, c'est insupportable, et cet esprit qui refuse de se taire. J'ai sommeil, à tel point que je divague, mais impossible de sombrer dans les rêves. J'ai trop chaud, j'ai trop mal, j'ai trop peur. Obscurité. Obscurité veut se venger. Obscurité va se venger.

Clarté sera-t-elle là pour m'aider ? Pour protéger ceux à qui je tiens ? Pour me protéger moi ? Y aura-t-il quelqu'un qui nous empêchera de nous abandonner aux mains poisseuses de l'élément du mal ?

Et Adrian, alors ? Que va-t-il lui arriver ? Obscurité ne lui fera pas de mal, il est son représentant, elle ne peut pas le tuer, elle ne doit pas. Elle a besoin de lui. Il a besoin d'elle.

C'est torturant d'imaginer la souffrance qu'il doit endurer. Des fois, je souhaiterais presque être à sa place pour lui éviter de subir tout ce qu'il subit. Éprouver la douleur à sa place. Le protéger. Le préserver. L'aimer sans qu'il soit sans cesse martyrisé par cette horrible femme du Mal. Lui offrir ce dont il aspire profondément : faire le bien. Être le bien. Répandre le bien, au lieu de laisser glisser les tentacules noires et denses de l'Obscurité dans son cœur, son âme, et les laisser s'enrouler autour de lui pour le retenir prisonnier. Captif. Dans un piège. J'aimerais tant savoir comment soulager sa peine.

Il fait si chaud. Ironique, pour un dragon, de craindre la fièvre de l'air. De se sentir moite et suintante. Comme si le sort se moquait de moi. Il m'observe, bien tranquille, et ne cesse de m'empêtrer dans des bâtons, riant aux éclats à chacune de mes chutes. Le même rire que celui d'Obscurité. Sans joie, sans haine, purement et affreusement dénudé d'émotions. Un rire noir, un rire froid, un rire qui hérisse les poils. Un rire qui rappelle au monde qu'il existe le mal, qu'il est là, et qu'il attend. Il attend son heure, il attend de frapper. Mais qui sera sa prochaine victime ?

Je me retourne dans mon lit, encore une fois. Je pourrais vous tuer sur-le-champ, si je voulais. J'aime jouer avec la nourriture avant de la manger. Je vous souhaite bien de souffrir. Que de promesses macabres, des chuchotements qui vous suivent jusqu'aux tréfonds de nos cauchemars, des paroles qui hantent et qui s'amplifient dans l'esprit des plus apeurés.

J'en fait partie, songé-je. Je suis complètement terrorisée par les serments funèbres qui m'ont été prononcés. Je manque d'air, encore plus, je me retourne, encore une fois. À ce rythme-là, je ne dormirai pas de toute la nuit, et le matin se lèvera sans m'attendre.

C'est trop ; je me lève. Je quitte mes draps trempés, fonce vers ma salle de bain et attrape le premier seau que je trouve pour vomir dedans. Est-ce que je suis malade ? Est-ce que je suis épouvantée ? Est-ce la faute d'Obscurité ? Ma tête tourne, tangue et chavire, la peur obstrue ma raison, l'angoisse prend sur ma sérénité. Je regarde autour de moi, j'ai l'impression d'avoir entendu des voix, des pas, des rires. D'avoir vu la fumée sombre et obscure caractéristique. L'infecte odeur de ma régurgitation emplit lentement la pièce, mais je suis trop alarmée pour ne serait-ce que m'en soucier. Bon sang, pourquoi ai-je dit à Fantine d'aller se reposer exclusivement ce soir ? J'ai besoin d'elle, là, tout de suite. Besoin de quelqu'un. Besoin d'être rassurée. Besoin de ne plus être seule.

Les Derniers DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant