Je remercie ma mémoire – et peut-être aussi mon instinct magique – car je trouve facilement le vieux livre noir. Une fois en possession de l'objet, je me hâte de retrouver mes deux compagnons. Nous nous installons tous autour de la table, et ouvrons le livre à la même page.
Je relis la prophétie en avalant ma salive, un peu nerveuse. Même si je sais qu'elle parle de moi, de la réincarnation et de la magie, il y a quelques passages qui me restent obscurs.
« Mille années écoulées
Le sang sera étanché
L'Élue vous pardonnera. »Le sang sera étanché... Quel sang ? Et qui dois-je pardonner ? J'ai beau tourner et lire ces phrases de toutes les manières possibles, mes questions restent sans réponses.
Je commence à lire les écrits autour de la prophétie, d'une écriture moins soignée, plus courte.
« Par l'obligation et la demande du dirigeant suprême du royaume, j'accède à sa requête, qui me confère tous pouvoirs afin de sauver le royaume des flammes de l'Enfer. J'ai décidé, par patrie et dévouement, d'utiliser un sort sur ma propre fille de sang, Sara Skymoon. La prophétie ci-dessus a été prononcée à minuit, dans la cour du château royal. »
Puis plus bas, une phrase retient mon attention, un peu à l'écart des autres. Elle est écrite d'une langue qui m'est inconnue.
— C'est du latin, souffle le prince qui s'est rapproché sans que je m'en sois rendue compte, et qui se tient à présent contre mon dos. Homo est animal, rex a bestia est.
— Et qu'est-ce que ça veut dire ?
— L'Homme est un animal, le roi est une bête.
Ses paroles déclenchent un fourmillement glacé le long de la colonne. Ses mots parlent du dirigeant suprême, c'est certain. Mais pourquoi avoir noté ça ? Je croyais que le mage Skymoon aimait et voulait sauver son souverain, pourquoi le comparer à une bête ?
— C'est étrange...
— Je suis d'accord. Encore un mystère, répond le prince en soufflant dans mes cheveux, ce qui a le don de me faire sourire.
— J'ai l'impression qu'à chaque réponse, je trouve dix nouvelles questions.
— C'est une bonne façon de décrire la situation, en effet.
Il commence à jouer avec mes mèches, respirant contre la base de mon cou. Je relève discrètement les yeux pour repérer Julien, mais il n'est pas là. Que fait-il ?
Je suis seule avec le prince qui est près, très près de moi.
— Tu es tendue, murmure-t-il.
— Toutes ces histoires me donnent le tournis.
Il pose son nez contre mon épaule et respire mon odeur, tandis que sa deuxième main se pose sur ma taille.
Une partie de moi veut protester, son toucher est à mon goût trop osé, mais une autre trouve ce moment tout à fait exaltant. Quoi qu'il en soit, c'est évidemment la deuxième option qui s'impose, et l'idée de repousser cette main fuit de mon esprit aussi rapidement qu'elle s'y est introduite.
— Tu sens bon.
— Oui.
Ça n'a aucun sens, mais c'est tout ce que j'arrive à dire, ensorcelée par sa proximité. Il rit doucement, de sa jolie voix de ténor vibrante et chaude.
— Tu es très belle.
— Dans ces frusques ? Vous plaisantez.
— L'habit ne fait pas la femme.

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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...