46. Il n'y a plus d'espoir

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— Tu es sûr qu'ils sont allés par-là ? demandé-je encore une fois à Adrian pour être certaine.

— Aucun doute. C'est à peu près le trajet que nous devions suivre de base, alors ce n'est pas problématique.

— Pas problématique ? raille Milène, assise seule sur son cheval gris, un peu en arrière. Non, ce n'est pas comme si l'un de nous s'était fait kidnapper par de sombres connards qui essayent de nous tuer depuis qu'on est sortis du château, et qu'on court après comme des chiots perdus. Et en plus de ça, on doit trouver les très lointains cousins de Ciel, parce que soi-disant que ça fera avancer la face du monde ! À part ça, aucun souci ! Rien de problématique !

Fulminante et essoufflée, elle clôture son discours d'un crachas dans notre direction. Je me retourne avec un soupir, lassée des crises de notre magicienne. Depuis que Yanos a disparu, elle ne cesse d'être exécrable et de rejeter la faute sur nous. Je ne lui en veux pas, parce que j'avoue, moi aussi j'ai envie d'accuser la Terre entière et d'insulter tout le monde jusqu'à ce que mort s'en suive, mais j'essaye de rester maîtresse de mes émotions pour ne pas perdre pied. Dans ce genre de moments difficiles, le mieux et de rester conscient... et de continuer sans relâche.

— Galopons un peu, ordonne Adrian et joignant le geste à la parole.

Nous nous élançons derrière le cheval marron qu'il monte, celui de Yanos, qui heureusement n'a pas été blessé de sa chute. Les heures passent, inlassables. Nous avons eu droit à une seule et unique pause, au bord d'une rivière claire, où nous nous sommes baignés pour nous rafraîchir et avons nettoyé nos vêtements dans un état lamentable. Milène a tué deux lagopèdes qui nichaient non loin, et que nous avons cuit et mangé avec un appétit vorace, calmant la faim persistante dans nos estomacs.

— J'en peux plus, gémis-je sans pouvoir retenir une seconde de plus ma plainte.

La nuit est, encore une fois, tombée sur nous, engloutissant nos dernières misérables forces. Même les chevaux sont exténués.

Adrian s'arrête, et nous l'imitons avec soulagement. Mais, contrairement à ce que je pensais, il ne descend pas de sa monture, et son regard m'incendie d'une étrange colère.

— Alors, si je comprends bien, tu m'as supplié pour que j'épargne cet idiot, tu as pleuré plus que possible, et tu as brisé le fragile équilibre dans lequel reposait le château pour le sauver, et tu veux abandonner maintenant parce que tu es fatiguée ?

— Je...

Ma bouche s'entrouvre par intermittences tandis que j'essaye de formuler mes pensées. Ses mots me blessent profondément, et je sais qu'il l'a fait exprès, à en juger son expression fermée et déterminée.

— Écoute, Ciel, reprend-il plus doucement. J'ai beau être désespéré de l'imbécilité dont peut faire preuve Yanos, au fond, c'est un brave gars. On l'a embarqué dans cette histoire alors qu'il n'a rien à y faire, et c'est à nous de le sauver maintenant. Moi, je ne le laisserai pas.

Il commence à faire repartir son cheval quand il s'arrête pour nous lancer une dernière réplique :

— Je n'ai jamais dit ça.

C'est un sourire amusé et triste à la fois que nous reprenons notre course tout au long de la nuit, courant après la perte d'un innocent.

•⚔︎•

— Arrêtez-vous. Aucun bruit, ordonne soudainement Adrian.

Milène et moi obéissons sagement. Depuis une semaine que nous pourchassons nos ennemis après l'enlèvement de Yanos, ce n'est pas la première fois qu'il agit de la sorte. Des fois, quand il croit entendre des éclats de voix ou de sabots étrangers, il nous oblige à nous cacher pour épier les environs. Nous avons appris à ne plus contredire ses faux espoirs, au risque de nous faire réprimander par le regard assassin d'Adrian.

Les Derniers DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant