Je ne sais pas combien de temps je reste inconsciente : mais lorsque je rouvre les yeux, le calme est revenu.
Je suis toujours dans la salle à manger. Mon dos touche une surface froide, et ma nuque est complètement crispée. Je me redresse, et je remarque que quelqu'un m'a assise par terre, à même le sol, appuyée contre un mur.
— Ouch..., marmonné-je en massant mon cou endolori.
Mes doigts me paraissent étranges – lorsque je les porte à ma vue, je vois qu'ils sont maculés de sang séché.
Du sang ?
Je me relève, et me mets debout en grognant des jurons. Personne ne fait attention à moi : quasiment toute la pièce me fait dos. Il n'y a presque pas de bruit, hormis quelques chuchotements étouffés et des hoquets. Ma tête tourne, mes idées ne sont pas tout à fait claires, et j'ai du mal à me souvenir de ce qui s'est passé.
— A... Adrian ? je balbutie, ressentant le besoin urgent et inexplicable de sa présence.
Deux ou trois têtes se tournent dans ma direction, mais je suis superbement ignorée. Prise de vertiges, le pas titubant, je m'approche de la foule muette, curieuse de comprendre et poussée par mon instinct. Les hommes me laissent passer sans rechigner, comme s'ils se doutaient de ce que je fais. Mais que s'est-il passé, enfin ?
Après une minute qui me semble durer des semaines, je transperce enfin le cercle et me retrouve au centre. Il me faut de longues secondes pour analyser la scène sous mes yeux, le cerveau tellement embrumé que j'ai l'impression d'avoir été droguée. Je papillonne des paupières, prends une très longue respiration, et mes neurones parviennent enfin à se connecter.
Le tableau sous mes yeux n'est pas beau à voir. Adrian est assis, tête baissée, genoux ramenés sur son torse, hoquetant et pleurant. Ses mains sont liées par une corde, et ses poignets sont à sang – ont-ils trop serré le nœud ou s'est-il débattu jusqu'à s'en blesser ? À ses côtés, Yanos, à genoux, une main posée sur l'épaule du prince. Son visage est fermé d'une expression qui lui est inhabituelle. Qu'est-ce que j'ai donc loupé ?
Enfin, Milène se tient face à Adrian, en tailleur. Elle semble chercher son regard, et murmure des mots que je n'entends pas. Son ton me laisse croire qu'elle essaye de le rassurer ; mais n'est-ce pas à moi de faire cela ? Pourquoi me suis-je évanouie alors que je devrais être là, en train d'apaiser les tourments de l'homme que j'aime ?
— Adrian ? bredouillé-je, faisant un pas vers eux.
Milène fait volte-face, et Yanos pose son regard sur moi. Je brise l'espace qui nous sépare, et me laisse choir à côté de la blonde, face à Adrian qui lui n'a pas bougé.
Milène essaye de me repousser le torse, me disant que je ne devrais pas être là, mais je chasse son bras sans y prêter attention, entièrement focalisée sur le brun en larmes. Avant que je ne commande à mon corps de le faire, je lève la main et pose mes doigts sur sa joue tâchée, elle aussi, de sang.
Impact. Nos peau se rencontrent, et une décharge électrique me parcourt le corps, si puissante que j'en reste aveugle quelques instants. Des fourmillements me picotent de la tête au pieds, et au vu du frisson qui agite Adrian, je comprends qu'il a ressenti la même chose que moi.
Il relève la tête.
Mes pupilles plongent dans les siennes, le ciel et la nuit se heurtent. Je me perds totalement dans l'espace, dans le temps, dans la réalité – pourtant, je n'ai jamais été autant à ma place qu'ici, avec lui. Une force inouïe, trop puissante pour que nous puissions la saisir, nous relie à cet instant. Comme si l'univers entier ne s'était jamais destiné qu'à cet instant, à ce contact, à ce regard.
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Les Derniers Dragons
FantasyElle s'appelle Ciel. Elle est fille de paysans, pauvre, oubliée. Sa vie est simple, ennuyeuse comme un ruisseau à sec. Elle n'aspire à rien - elle se contente d'exister et d'aider son vieux père à la ferme. Pourtant, ce soir-là, des gardes du palais...