41. Apprentie magicienne

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Slalomant entre les maisons et les chaumières, nous sommes arrivés à sortir du village sans se faire repérer. Les sanglots de Milène brisent le silence par intermittence, encore sous le choc du spectacle dont elle a été témoin.

Moi, je suis trop sonnée pour pleurer. Et encore, je suis un peu plus habituée à encaisser des horreurs. Ma peine n'est pas moins lourde : juste mieux contrôlée. Des gens, que je ne connais pas, qui ne me connaissent pas, veulent à tout prix ma mort, parce qu'ils sont effrayés de l'étendue de mes pouvoirs.

Mais si des gens qui n'y connaissent rien ont peur, que doit-il en être de moi ?

Je laisse de côté cette morbide question pour me concentrer sur Adrian. Son torse puissant est collé contre mon dos, et ses bras enserrent ma taille presque avec férocité, plus pour garder maîtrise de ses émotions que pour ne pas tomber. Son menton est posé sur mon épaule droite, et son souffle chatouille mon cou à chaque respiration. Il m'a l'air tellement lointain – je n'ai pas affaire à Adrian, mais au prince froid et étrange que j'ai connu lors de mes premiers jours au château. Distant, renfermé, isolé.

Notre petit groupe atteint enfin la lisière de la forêt, et nous nous y engouffrons, un peu angoissés. En dépit de tout, je me sens quand même plus en sécurité dans ces bois obscurs inhospitaliers que dans un village joyeux où des meurtriers fous se promènent à ma recherche.

Je n'en reviens toujours pas que ma vie aie pu basculer aussi exagérément et aussi vite. Où est passée la petite Ciel qui s'occupait de labourer tranquillement les champs avec sa jument ? Qui est cette nouvelle fille qui s'échappe au galop de ceux qui souhaitent sa tête arrachée à ses épaules ? Comment tout ça a pu arriver ? Cette situation, cette aventure truffée de dangers, de doutes, de fuites, d'incertitudes ?

Mais surtout, qu'ai-je fait pour le mériter ?

— Tu es toute crispée, chuchote Adrian à mon oreille en caressant distraitement mon ventre.

— J'ai peur, soufflé-je.

C'est un euphémisme ; je suis terrorisée. Épouvantée. Tremblante. J'ai pu assumer d'être un dragon, d'être une résurrection destinée à aimer un homme pour le sauver de ses propres démons, d'être la représentante d'un élément surpuissant, d'être celle qu'on nomme « l'élue ». Mais mon corps, comme tout humain, déborde et explose. Je suis arrivée à ma limite.

Vais-je abandonner ? Pour rien au monde. Mais suis-je effrayée de ce qui m'attend ? Pire. J'en sue de panique.

— Tu serais imbécile si tu n'avais pas peur. Mais je suis là. Le sous-fifre, même si ça me coûte de le dire, est là. Même l'apprentie sorcière est là. On va t'aider.

Il dépose ses lèvres sous mon oreille et les laisse courir le long de ma peau, m'arrachant des petits frissons incontrôlés.

— Mon ange.

— Adrian...

— Nous pourrions camper ici, nous coupe la voix enrouée de Yanos derrière nous, sans se douter de l'échange lourd qu'il interrompt.

J'observe les lieux d'un regard détaché. De toute façon, j'ai l'impression que plus rien n'est sûr. Alors ici ou ailleurs, quelle différence ?

— Je suis d'accord. Tout le monde à terre, ordonné-je.

Adrian descend de Nuage puis me propose sa main pour m'aider. J'accepte, plus par mécanisme et politesse que par besoin. J'entreprends immédiatement de fouiller mes sacs, en quête d'une quelconque tente ou toile susceptible de nous offrir un abri pour la nuit. Mes recherchent se révèlent être un échec : Fantine ne se doutait pas que nous allions nous faire agresser dès le premier soir. Et pas la peine de tenter dans un autre village, je suis certaine que nous aurions le même accueil.

Les Derniers DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant