4. Une antique coupe en bois (1/3)

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Les paroles de Fabrizio me coupent le souffle. Pourquoi partir si vite ? Et la foire ? Nos spectacles ? Toute cette route pour rien ! Sans oublier cette étrange prophétie qui inquiète tant le cardinal ! Ne veut-il pas éclaircir ce mystère ?

Le temps que je rassemble mes mots, notre chef a déjà disparu dans sa roulotte. Je le suis sur un coup de tête et le trouve assis sur sa couchette, le visage entre les mains, l'air soucieux. En m'entendant entrer, il relève vivement le nez et me darde un regard courroucé.

— Que veux-tu, Guillaume ? demande-t-il d'une voix agressive qui ne lui ressemble pas. Je peux te donner ta part de la recette d'aujourd'hui. Va profiter de la foire pour l'après-midi.

— Mais, Fabrizio, nous ne pouvons pas partir maintenant ! Les festivités durent encore plusieurs jours ! Tu disais toi-même que c'était l'occasion rêvée d'avoir un large public.

— Nous pouvons très bien partir malgré tout et c'est ce que nous allons faire ! rétorque-t-il sèchement. Je suis encore le chef de cette compagnie, il me semble !

C'est la première fois que je vois l'Italien à ce point en colère. La violence de son ton me heurte de plein fouet et je tente de me raccrocher aux branches.

— Si c'est à cause de ce cardinal ou de cette histoire de prophétie...

— Ce n'est rien de tout cela et je n'ai pas besoin d'expliquer mes décisions au plus jeune de la troupe. Dehors !

Fabrizio se lève d'un seul élan, rouge écrevisse. Il tend un doigt tremblant de fureur vers le pan de toile. Vexé, penaud, je tourne les talons et ressors sans un mot.

Dans l'espace délimité par nos chariots, Pedro commence déjà à rassembler nos affaires.

— Quand il est de cette humeur-là, il vaut mieux le laisser tranquille, commente-t-il avec philosophie.

Pour toute réponse, je me contente d'une moue dépitée. Mes trois camarades s'approchent et Heinrich me prend par l'épaule pour me réconforter.

— Bah, le vieux Fabrizio est un peu soupe au lait, rien de grave. Vois le bon côté des choses, Guillaume : peut-être que nous allons partir vers Londres. J'aimerais bien découvrir la capitale !

— Cette décision est la plus prudente, renchérit João. Nous ne savons pas ce que voulait ce cardinal, mais à l'évidence nous n'avons pas été invités pour une démonstration de comédie italienne. Nous avons subi un véritable interrogatoire !

— Justement, cette prophétie...

— Oublie cette prophétie, Guillaume, soupire le Portugais avec un geste d'exaspération. Ces foires attirent tout un tas de prédicateurs, donneurs de leçons, visionnaires, prophètes. Je ne crois pas que le futur soit écrit. C'est à nous de le construire avec l'aide de Dieu, ne penses-tu pas ?

Je réponds par un grognement indistinct.

— De toute façon, reprend-il en lissant la pointe de sa moustache, autant mettre le plus de distance possible entre nous et ce cardinal. Avez-vous remarqué que nos affaires ont été dérangées, fouillées sans doute, pendant notre spectacle ?

— Raison de plus pour découvrir ce qu'il nous veut, à la fin ! N'avez-vous pas envie d'en savoir plus ? De comprendre ce dont il retourne ?

Yo, ce que j'en comprends, intervient Pedro avec son enjouement habituel, c'est que la dame nous a laissé une bien belle somme. J'ai quelques bonnes idées pour dépenser ma part.

— Et comment ! Moi aussi ! renchérit Heinrich.

Au creux de mon ventre, la déception se consume en colère sourde. Je me dégage de son bras avec un geste d'humeur et disparais dans ma roulotte, sans qu'aucun d'eux cherche à me retenir.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant