39. L'or du roi (2/3)

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Je lave tant bien que mal les traces de sang sur mes mains et mes vêtements dans l'eau de la lagune, puis nous repartons dans les rues quasiment désertes. Pedro et Geiléis soutiennent Fabrizio qui peine sous ses blessures. Après toutes ces épreuves, la douleur et la fatigue l'ont rattrapé. La guérisseuse veut le conduire au plus vite chez Tolomeo où l'attend sa famille ; João les accompagne. Guy et moi avons une dernière affaire à régler pour laquelle Hans accepte de nous aider. Décidé à ne plus quitter son frère, Heinrich se joint à nous.

La plupart des Vénitiens se terrent encore chez eux après la tempête monstrueuse. Toutefois, progressivement, prudemment, les fenêtres des maisons s'entrouvrent, les habitants hésitent sur le pas des portes. Ils contemplent le ciel clair avec des yeux ébahis, un peu hébétés. Certains se signent ou louent le Seigneur à voix haute. Tout le monde commente l'événement avec son voisin. Les rues s'animent dans un joyeux soulagement. La vie reprend son cours.

Au palais des Gandolfi, nous nous précipitons d'abord dans la chambre de Philippe. À part une lettre de son père lui annonçant son arrivée prochaine, nous ne trouvons aucune trace de l'accord entre Giulia et Jacques de Beaune. En revanche, je déniche au fond d'un coffre une rapière que je connais bien. Cette pauvre épée oubliée sur les pavés de Chartres m'aura causé bien du souci. Mes doigts rêveurs caressent le blason des Crussol gravé à la base de la lame.

Ferro non auro [1], murmuré-je pour moi-même.

Je glisse à ma ceinture cette amie familière, témoin de bien des aventures.

Pour l'accompagner comme il se doit, la garde-robe de Philippe me tend les bras. Je me débarrasse de ma tenue de bal souillée et déchirée. Même en habits d'homme, j'attirerai moins l'attention. Je flotte un peu dans la chemise et les hauts-de-chausse sont bien trop lâches pour moi, mais j'attache les aiguillettes et serre le tout avec un ceinturon. Cela fera l'affaire pour quelques heures.

Heinrich pousse un petit sifflement moqueur tandis que Guy jette un regard désapprobateur sur mon accoutrement. Je ne lui laisse pas l'occasion de proférer un commentaire déplacé.

— Allons voir chez Giulia ! lancé-je.

*  *  *

La chambre de la belle Italienne, à l'image de son occupante, respire le luxe, l'élégance et l'étalage outrancier de richesses, le tout imprégné d'une forte odeur de rose.

Devant ces lieux familiers, le visage de Hans se décompose. Il se laisse tomber sur le lit à baldaquin. Ses yeux fixent un point lointain en homme hébété dont les repères s'effondrent en poussière, les uns après les autres. Heinrich s'assied à ses côtés, sans le brusquer. D'un geste hésitant, un peu maladroit, il passe un bras autour de ses épaules. Je reconnais la marque d'une compassion qu'il a déjà démontrée envers moi. Aujourd'hui, c'est son frère qui a besoin de lui.

Pendant que Guy compulse le courrier rangé avec minutie dans le petit secrétaire, je découvre, posé en évidence sur la coiffeuse, un médaillon que je reconnais aussitôt. Mes mains se referment avec émotion sur l'objet familier, un des trop rares souvenirs de ma mère – cette mère que je n'ai pas connue, mais dont le visage, offert par les visions du souffle, reste désormais gravé au fond de mon cœur comme un trésor inestimable. Je lui ressemble.

J'attache le pendentif à ma ceinture, sans le passer autour du cou. Je n'ai plus besoin de Guillaume pour affronter mon destin. Je veux être Aurore, retrouver mon père, aider Guy à reconquérir sa place. Toutefois, qui sait, peut-être que ce médaillon aura encore un rôle à jouer ? J'en ferai don à ma fille, si j'ai un jour la joie d'en avoir une.

Guy termine sa lecture, attrape une pile de lettres et la glisse dans une aumônière noire brodée oubliée sur le lit. Comme je le pensais, la dernière missive du baron laisse supposer que le versement des cinq cent mille écus n'a pas encore eu lieu. L'argent doit se trouver dans la demeure que Jacques de Beaune a achetée à Venise par l'intermédiaire de Giulia. L'adresse est fort aimablement mentionnée dans leur correspondance.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant