Une main me secoue. J'ouvre les paupières pour plonger dans des yeux verts anxieux, encadrés de taches de rousseur. Une natte aux reflets embrasés glisse par-dessus l'épaule de Geiléis quand elle se penche pour détacher mon bâillon.
— Aurore ? demande-t-elle d'une voix tendue. Comment te sens-tu ?
Une pulsation lancinante résonne encore dans mon crâne, mais je n'éprouve pas la torpeur de mes derniers réveils. Giulia ne m'a pas droguée. J'esquisse une grimace rassurante.
— En pleine forme. Je n'ai jamais été aussi heureuse de te voir, et de te parler enfin, après tout ce temps !
Son regard détaille avec consternation les stigmates de ma semaine de jeûne forcé.
— Que t'est-il arrivé ? interroge-t-elle d'une voix blanche. Qu'est-ce que cette femme t'a fait ? Des histoires horribles circulaient sur ton compte depuis dix jours. Les serviteurs racontaient que tu étais au plus mal. J'ai essayé à maintes reprises d'accéder à ta chambre, mais elle était toujours étroitement surveillée.
— J'ai fâché Giulia, expliqué-je d'un ton désolé. J'ai été privée de sortie et bien failli tout compromettre.
La discussion surprise entre la scélérate et le gros cardinal me traverse la mémoire dans un éclair. Mon cœur s'emballe.
— Quelle heure est-il ? paniqué-je.
Je tente de me redresser, mais les cordes me retiennent au lit.
— Chut ! Moins fort ! Calme-toi, je vais te détacher.
La chambre calfeutrée de pénombre laisse entrevoir le contour des meubles. Est-ce déjà l'aube ?
— C'est prime, m'annonce Geiléis tout en me libérant. Hier soir, Giulia et Hans t'ont transportée, inconsciente, par les couloirs des domestiques. L'incident était sur toutes les lèvres ce matin. J'ai accouru ici, personne ne surveillait ta porte. Que s'est-il passé ?
Je m'assieds et masse mes poignets endoloris. Geiléis passe un bras charitable par-dessus mon épaule, sans doute encore peu rassurée sur ma santé.
— Je me suis fait stupidement surprendre à espionner une conversation entre les membres de l'Ordre, expliqué-je d'une voix fébrile. Nous devons agir immédiatement, Geiléis ! Changer nos plans ! Le cardinal Marliano a terminé la traduction du grimoire hier. Il veut Tisser le souffle de Dieu ce matin, tout de suite !
Ma panique enfle à mesure que les paroles échangées me reviennent. Je saute du lit et cours à la fenêtre.
— Attends, reprend Geiléis derrière moi. Tu ne connais pas les dernières nouvelles : Fabrizio et Pedro sont arrivés il y a trois jours. Nous avons convenu d'un signal, une chandelle allumée au carreau, au cas où il faudrait agir en urgence. Je leur ai fait signe tôt ce matin et leur ai ouvert la porte de service. En ce moment même, ils font sortir Paloma, Sabrina et madame Biancolelli pour les conduire en lieu sûr. Je suis chargée de te libérer ainsi que João, Guy et Heinrich. J'ai découvert où ils sont enfermés. Nous nous retrouverons tous dehors.
Pendant que la gardienne m'informe de ces nouveaux éléments, je m'Éveille à la fenêtre. Le soleil n'a pas encore émergé au-dessus des toits, mais le ciel se colore d'un rosé pimpant. Sur la voûte où s'effacent les dernières étoiles se profilent les prémices d'une trame que je reconnais avec un frisson de terreur.
Je me retourne d'un bloc.
— Trop tard ! Ils ont commencé ! Giulia projette d'interrompre le Tissage du cardinal et de laisser la déflagration dévaster la Toile. Elle veut réunir les deux côtés du Voile ! Cette folle enragée se moque bien de soigner le monde. C'est le pouvoir et la vie éternelle qu'elle convoite !
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Le crépuscule des Veilleurs
Fantasía1534. La Renaissance, début d'une ère. La science prend son envol, l'art italien fascine l'Europe, un parfum d'idées nouvelles flotte dans l'air. Depuis la nuit des temps, les Veilleurs protègent le sommeil des Dormeurs. Ils gardent en secret la fro...