28. Un secret, révélé ? (3/3)

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Je n'ai pas attendu son cri pour plonger tête baissée sur le soldat derrière moi. Mon mouvement le cueille par surprise et je le renverse d'un coup d'épaule. Il roule à terre dans un fracas d'armure. Au même moment, une dizaine de rapières jaillissent de leur fourreau avec un sifflement métallique qui tranche la sérénité conviviale du lieu. L'aubergiste, aussi blanc que son tablier, plonge sous son comptoir ; les derniers clients se précipitent vers l'arrière-salle. Guy plante sa lame dans la cuisse d'un des soldats barrant la sortie pendant que ses cinq compagnons d'armes bloquent efficacement le passage de Philippe et des trois gardes qui l'accompagnent. L'homme blessé tombe à terre en gémissant. J'évite de justesse l'épée du troisième adversaire qui siffle au-dessus de ma tête. Mon cœur s'emballe.

Philippe hurle, paniqué :

— Je veux le garçon vivant !

Je me rue sur la porte tandis que Guy bondit sur le dernier soldat. Derrière nous, le combat s'engage entre Philippe et les jeunes seigneurs dans un tintement de lames. Jacques jette un coup d'œil rapide dans notre direction, esquive en souplesse l'épée qui tente de l'embrocher.

— Tu devrais partir avec ton ami, Guy, lance-t-il par-dessus son épaule d'un ton serein. Nous allons occuper un peu ces messieurs.

J'ouvre la porte de l'auberge à toute volée. Guy accule le dernier soldat contre le mur. D'un mouvement du poignet vif comme l'éclair, il lui arrache la rapière des mains. La lame vole quelques pas plus loin sous les yeux effarés de son propriétaire. Je retiens un sourire narquois bien peu charitable. En une enjambée, mon compagnon me rejoint sur le seuil. Il se retourne vers le combat qui fait rage.

— Merci pour tout, Jacques ! Mais ne commettez pas de bêtises pour moi, cela n'en vaut pas la peine !

D'une poussée, il me propulse au-dehors. Nous détalons à vive allure dans les venelles de Lyon. Les hurlements de fureur de Philippe accompagnent notre fuite.

— Rattrapez-les ! Arrêtez-les !

Nous dévalons la rue Mercière et zigzaguons entre les étals dans un défilé de poings levés, de vociférations indignées, d'obstacles évités au dernier moment. Quand il devient clair qu'aucune poursuite immédiate ne se lance derrière nous, Guy ralentit l'allure. J'adopte son rythme plus mesuré avec une grimace reconnaissante. Notre course effrénée a réveillé la douleur de mes pieds meurtris. Le temps d'atteindre le pont du Change, je claudique comme un cheval mal ferré.

— J'espère que tes amis n'auront pas d'ennuis, soupiré-je. Nous leur devons une fière chandelle d'avoir ainsi protégé notre retraite.

Guy opine de la tête, mais conserve un air sombre et préoccupé.

— S'ils ne tuent personne, ils devraient pouvoir se sortir de ce mauvais pas. En ce qui me concerne, par contre, la situation est fort différente. Je viens de désobéir à un ordre explicite du roi. Je n'ai pas intérêt à reparaître devant lui. Je crains même que des poursuites ne soient lancées contre moi.

Sa voix reste factuelle, comme s'il discourait du mauvais temps passager, mais ses paroles plongent dans ma poitrine aussi sûrement qu'une dague acérée. Je réalise à quel point notre accrochage avec Philippe représente pour lui un point de non-retour. S'il ne réapparaît pas devant François avec le livre, il sera considéré comme un traître. Je peux faire confiance à l'ignoble crapule pour peindre le plus noir des tableaux de sa version des événements. Malgré toute l'estime que le souverain semble porter à Guy, elle ne pèsera pas lourd en regard de la perte des cent mille ducats que le fils du surintendant lui a fait miroiter.

Je baisse la tête, accablé, consterné. Philippe se retrouve impliqué dans cette histoire par ma faute. Je revois son visage qui se tourne vers moi, ses yeux qui s'agrandissent de surprise. Un nouveau péril pèse sur notre quête, à cause de mon secret. Geiléis avait raison ; Heinrich avait raison ; les spriggans m'avaient montré la vérité, mais je ne voulais pas y croire. Mon choix est arrêté : je dois tout révéler à mes compagnons.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant