7. Emportés par les flots (2/2)

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Nous partons vers la porte nord, puis quittons l'avenue principale pour rejoindre une ruelle longeant la Stour. Le vent a chassé les derniers nuages pour dérouler un somptueux ciel nocturne semé d'étoiles. La douce lumière de la lune éclaire les obstacles et facilite notre progression. Heinrich soutient Guy que ses jambes portent à peine. Sur notre chemin, nous croisons quelques rares passants pressés. Après un bref coup d'œil sur nos armes et notre allure, ils nous évitent d'un crochet prudent.

Nous longeons les quais bordés d'échoppes de tanneurs, de mégissiers et de forgerons qui profitent de la présence voisine de la Stour. Les odeurs agressives de cuir et de tanins recouvrent celles du limon charrié par les flots. La rivière s'étale dans un large lit paisible au chant d'un léger clapot. Un peu plus loin, un ponton vermoulu s'avance de quelques pas vers le centre du cours d'eau. Un filet de pêche laissé à sécher et plusieurs tonneaux vides sont rangés sur le bord, appartenant sans doute à l'auberge voisine.

Je m'engage sur les planches disjointes pendant que mes deux compagnons restent en retrait. Déjà à bout de force après cette courte marche, Guy s'assied sur la berge avec l'aide de Heinrich. À quelques centaines de pas, les remparts de la ville découpent leur masse sombre et rebutante sur le ciel nocturne. La rivière s'engouffre en grondant sous deux arches basses.

Mon regard termine son tour d'horizon sur les tonneaux imprégnés d'un inimitable relent de poisson. J'attrape un couvercle et roule le plus gros baril jusqu'au quai.

— Nous n'avons qu'à utiliser cette barrique pour mettre nos affaires au sec. Elles ne devraient pas trop souffrir, juste le temps de passer sous la muraille.

— Beurk ! Ça cocotte à plein nez, commente Heinrich en se pinçant le nez.

— Si tu n'es pas content, trouve-t'en un autre !

Je dégrafe ma rapière et la place dans le tonneau. Elle y loge tout juste en diagonale. Heinrich y ajoute celle de Guy.

— Il va falloir protéger ton précieux grimoire, si tu espères le transporter là-dedans. Regarde là-bas.

À côté de la porte de l'auberge, un double vantail conduit à une étable. Sans plus d'explication, il s'y dirige d'un pas assuré, jette un œil de droite et de gauche, puis pousse le panneau. Il ressort peu de temps après avec une étoffe imbibée d'huile.

— Enveloppe d'abord le livre dans un de nos vêtements pour ne pas le tacher. Nous le recouvrirons ensuite avec cette toile huileuse. Du moment que le tonneau ne prend pas l'eau, les pages devraient rester au sec.

Je m'exécute rapidement. Le sac de jute vient caler le fond du tonneau. Je dispose par-dessus le livre de saint Augustin soigneusement empaqueté. Nos bottes et nos pourpoints recouvrent le tout. Heinrich ajoute son couteau, mon aumônière et la bourse avec la précieuse relique. Il aide ensuite Guy à retirer ses vêtements, car celui-ci n'y parvient pas tout seul. Quand toutes nos affaires ont trouvé leur place, j'enfonce le couvercle de quelques coups de coude.

En simple tunique en cette fin de nuit de printemps, je claque aussitôt des dents dans un concerto douteux. Ma peau se hérisse de chair de poule rien qu'à l'idée de m'immerger dans les flots noirs. Cependant, j'ai souvent plongé dans les cascades et les cuvettes du Gardon, je ne crains pas l'eau fraîche.

Je lève un regard interrogateur vers Heinrich.

— Sais-tu nager ?

L'Allemand acquiesce de la tête.

— J'ai appris dans l'étang à côté du monastère où j'ai grandi.

— Très bien. Je passe devant pour repérer les obstacles, Guy s'accroche au tonneau avec toi. Tu t'assures qu'il tienne bon et tu te charges du pilotage.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant