24. Une simple croix d'argent (3/3)

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Des exclamations incrédules fusent de tous côtés. Je croise les yeux de João qui m'adresse un discret sourire de connivence.

— Et qu'attendais-tu donc pour nous le dire ? s'offusque Guy.

João rattache le pendentif à son cou avec une lenteur désinvolte.

— Vu les convoitises autour de ces artefacts, il m'a paru plus prudent de ne pas en parler jusqu'à présent, explique-t-il platement. Il n'est pas possible de révéler ce qu'on ignore. Maintenant, vous le savez et nous avons les trois reliques nécessaires pour ton plan.

— J'aimerais bien connaître le fin mot de l'histoire, interviens-je. Je suppose que la lettre d'avertissement que tu as reçue à Paris venait de cet Ibrahim.

— Je suis curieux également de la manière dont tu es arrivé en possession de cette relique, renchérit Guy tout en me jetant un regard noir.

Mon absence d'étonnement ne lui a pas échappé.

João s'adosse contre la roue d'une des roulottes. Il commence par raconter ce que je sais déjà et les circonstances qui l'ont conduit en Terre sainte. Au lieu d'y trouver la fortune qu'il cherchait, il est tombé dans une embuscade avec son contingent. Une grande partie de ses compagnons ont été massacrés. Les survivants se sont retrouvés dépouillés de leurs biens et vendus comme esclaves.

— Je suis d'abord passé de mains en mains avant d'échouer dans la demeure d'un riche guerrier turc qui devait une grande part de sa fortune au fruit de ses pillages. Il s'appelait Ibrahim Özkan et trouvait amusant d'avoir un infidèle sous sa coupe, pour le servir dans ses moindres exigences.

João grince des dents en se remémorant les humiliations subies.

— J'ai tenté de le tuer à la première occasion. J'ai alors appris à mes dépens qu'il était Veilleur. Il aurait pu me faire exécuter, mais il a préféré me garder près de lui. Il disait que cela l'aidait à maintenir une vigilance constante. Ibrahim s'était fait de nombreux ennemis et je n'étais pas le seul à vouloir attenter à sa vie. Peu à peu, nous avons appris à nous connaître. Il me posait des questions sur mon pays, ma famille et lui me racontait des histoires de la cour de Soliman [1]. Il n'était qu'un païen sanguinaire, et je n'étais qu'un chien d'infidèle, mais nous avons gagné le respect l'un de l'autre. Un jour, l'un de ses ennemis est parvenu à infiltrer un esclave à sa solde jusqu'à lui, malgré toute sa vigilance. L'homme a brandi un jambiya [2] dans son dos. J'étais juste à côté. Ce jour-là, je lui ai sauvé la vie...

João secoue la tête, comme s'il était encore étonné de s'être interposé pour défendre son ennemi.

— Après cela, il m'a considéré comme son frère. Une dette de sang est un lien sacré dans son pays. Quelques mois plus tard, ma famille a enfin réuni la somme qu'il exigeait comme rançon et j'ai pu rentrer chez moi. Le jour où je suis parti, il est venu me trouver et m'a tendu cette croix en me racontant l'histoire de sa découverte. Il a terminé son récit sur ces mots qui sont restés gravés dans ma mémoire : « J'ai conservé cet objet, car il recèle un puissant pouvoir. Je m'en suis servi quelques fois, il y a longtemps. Cependant, maintenant, je n'ose plus : il me fait peur. Cette croix n'a pas de signification pour moi. Elle est le symbole de ta religion, alors je te la donne. Prends-en grand soin et utilise-la avec précaution. »

João s'interrompt. Ses yeux fixent le lointain, des visions du passé, comme s'il pouvait encore entendre ce message d'adieu confié par un ancien ennemi. Personne n'ose troubler sa rêverie.

Puis, avec un soupir, il repose le regard sur nous et termine son récit.

— Depuis cette époque, nous avons échangé quelques lettres. Rien de bien régulier. Il savait où m'écrire à Paris. Je lui avais indiqué l'adresse de l'auberge. Il y a six mois environ, Ibrahim a surpris des voleurs dans sa maison. Ses gardes ont capturé l'un des bandits et l'ont interrogé. Il a appris ainsi qu'un commanditaire inconnu offrait une très forte récompense en échange de la croix d'argent. Il m'a écrit, pour m'avertir, pour que je sois sur mes gardes. Dans sa lettre, il me confiait également les noms de René de Rougemont et de Samuel de Pontbréant. Il se souvenait que ces hommes étaient français, pensait qu'ils logeaient peut-être à Paris, et me suggérait de les avertir. Le jour où j'ai lu cette lettre, je venais d'entendre le nom de Pontbréant dans la bouche de Guy. Heureuse coïncidence, n'est-ce pas ?

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant