16. Histoires anciennes (1/2)

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 La grande forteresse carrée rehaussée de tours revêt des allures de bastion austère. Un fossé en eau entoure les murailles et un puissant donjon émerge depuis la cour centrale. Guy m'explique que le roi François a entrepris des travaux pour transformer cette ancienne place forte en palais majestueux, mais ceux-ci viennent tout juste de débuter.

Les gardes nous saluent sans poser de question et nous traversons un large pont de pierre qui enjambe les douves aux eaux noires. Nous pénétrons par l'aile est du château pour déboucher dans une vaste salle haute de plafond aux murs tendus de tapisserie. Un serviteur en livrée rutilante s'approche et s'incline profondément.

— Messeigneurs ?

— Nous sommes attendus par Monsieur Jean d'Andigné, vicomte de Troyes, annonce Guy de sa voix nasillarde de grand seigneur.

Le majordome plonge aussitôt dans une nouvelle courbette.

— Si vous voulez bien me suivre. Monseigneur le Vicomte attend dans la bibliothèque.

Nous parcourons une série de salons tous plus richement décorés les uns que les autres, peuplés de courtisans aux toilettes somptueuses. Moulures et dorures rivalisent avec les peintures pour renforcer le faste royal dans une explosion de couleurs. Les domestiques que nous croisons s'inclinent sur notre passage en guirlandes de révérences. Pourquoi éprouvé-je la désagréable impression d'être un imposteur ? Je carre mes épaules et tente d'imiter la démarche conquérante de Guy.

Au terme de cette déambulation opulente, le serviteur s'arrête devant une double porte ouvragée. Une main sur la poignée, il lève vers Guy un regard déférent.

— Monseigneur de Tréveray, comment dois-je annoncer le damoiseau qui vous accompagne ?

— Ce jeune gentilhomme est Monsieur Guillaume Deschamps, mon écuyer, répond Guy avec un sourire rassurant dans ma direction.

Ai-je donc l'air si inquiet ? Je réajuste le pan de mon pourpoint avec une certaine nervosité. Le majordome incline respectueusement la tête, puis ouvre le battant. Il s'efface pour nous laisser entrer et annonce d'une voix forte :

— Messire Guy de Lorraine, chevalier, seigneur de Tréveray et Messire Guillaume Deschamps, écuyer.

Je rate un pas et manque de m'étaler dans une gaucherie lamentable. Je pénètre dans la pièce comme dans un brouillard. Mes pensées s'emballent, mon cœur accélère. Guy de Lorraine ! Je comprends mieux. Pour un peu, je me frapperais le front, étourdi que je suis ! Je savais bien que je négligeais un détail sur cette puissante lignée. Comment ai-je pu oublier le nom de Guy ? Mon père m'a pourtant conté la bataille de Pavie à maintes reprises. Il y avait Claude de Lorraine, bien sûr, à la tête d'une compagnie de lansquenets, qui fut fait prisonnier en même temps que notre roi. Également son jeune frère François [1], âgé de dix-neuf ans, qui périt sur le champ de bataille. Je me rends compte avec stupeur que ce sont ses vêtements que je porte aujourd'hui. Enfin, le benjamin, Guy, servait en qualité d'écuyer. Il fut sévèrement blessé et échappa de peu à la mort. Je me raidis. Mon père et Guy se connaissent !

Un dernier détail s'accompagne d'un frisson : le cardinal Jean de Lorraine qui nous fait rechercher dans tout le royaume est donc son propre frère !

Le temps que ces pensées défilent avec leur cortège de conséquences, nous avons rejoint un homme assez âgé – une soixantaine d'années peut-être – au crâne dégarni, assis devant un large bureau de bois laqué. Le vicomte de Troyes rassemble les pans de son somptueux manteau bordé d'hermine et soulève son embonpoint avec un certain effort pour nous accueillir. La chaleur de son sourire démontre le lien d'amitié qui l'unit à Guy et l'intelligence pétillante au fond de ses yeux bruns témoigne que l'impressionnante bibliothèque rangée le long du mur n'est pas une simple décoration d'apparat.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant