30. Un funeste cadeau (1/3)

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 J'ouvre les yeux. Dans l'obscurité, je distingue les formes familières de notre habitacle. La nuit cède sa place aux prémices de l'aube. La respiration régulière de Geiléis juste à côté résonne sur un rythme apaisant. Pourquoi suis-je réveillée ? J'ai à peine dormi depuis mon tour de garde avec Guy. Pedro et Fabrizio ont pris notre suite. Est-ce un instinct, un bruit soudain qui m'a tirée vers la conscience ?

Ma main tâtonne pour se refermer sur ma rapière. Je me glisse hors de ma couverture, boucle mon ceinturon par-dessus ma chemise et me faufile par l'ouverture. Dans le ciel étoilé, le premier quartier de lune inonde notre campement paisible d'un pâle filet d'argent. L'une des roulottes est attelée et prête à partir.

Je m'avance vers les deux ombres qui s'affairent en silence. Fabrizio sursaute.

— Guillaume ? ... Aurore, pardon. Tu m'as fait peur.

Il tiraille sa barbichette d'un air gêné.

— Écoute, je suis désolé, mais...

— Tu t'en vas... observé-je sans marquer d'étonnement.

Il esquisse une grimace navrée et détourne le regard.

— ... rejoindre ta femme et ta fille, complété-je avec douceur.

Fabrizio relève la tête, rassuré peut-être par mon ton compréhensif. Des larmes brillent dans ses yeux noirs.

— Je dois savoir si elles vont bien, tu comprends ? m'implore-t-il d'une voix tremblante. L'incertitude me ronge depuis si longtemps. Giulia est capable d'avoir mis sa menace à exécution.

À ses mots, sa main plonge une fois de plus vers la bourse précieusement attachée à la ceinture. Je me souviens de la boîte mystérieuse qu'il y dissimule et frissonne sous un soupçon d'effroi. La gorge nouée d'indicible, je m'avance d'un pas. Toutes mes questions sans réponse se bousculent dans ma tête. Mes yeux croisent ceux de Pedro, un peu en retrait derrière lui, en ombre fidèle.

Je déglutis.

— Je ne t'empêcherai pas de partir. Je dirais même que mon cœur t'accompagne. Ta famille passe avant tout. Tu l'as mise en danger pour me sauver et je m'en voudrais éternellement s'il leur arrivait quoi que ce soit. J'ai une dette envers toi que je ne pourrai jamais assez repayer. Je... je voudrais que tu saches qu'il n'y a rien que tu aies pu faire par le passé qui l'effacera à mes yeux. Rien, tu m'entends, insisté-je.

Je lui saisis les mains et tente d'accrocher son regard fuyant.

— Tu ne sais pas tout, murmure Fabrizio en secouant la tête. Je suis un misérable.

Je lui serre les doigts avec assurance.

— Tu es un père qui tremble pour sa fille.

— Ce n'est pas une excuse pour ce que j'ai fait, soupire-t-il, lesté de toute l'amertume du monde.

Je me doute de ce qui le ronge. Je l'ai deviné depuis longtemps, mais je le laisse parler. Il a besoin de se libérer de ce poids qui alourdit son cœur.

— Giulia... est venue me trouver cet hiver à Paris, commence-t-il en cherchant ses mots. Elle convoitait un artefact conservé au palais du Louvre et avait besoin d'une diversion. Notre compagnie lui offrait une merveilleuse opportunité.

Fabrizio marque une pause, lisse sa barbichette. Il rassemble ses souvenirs avant de poursuivre d'une voix plus ferme :

— Je ne l'avais pas revue depuis des années, mais elle n'avait pas changé : plus belle et plus cruelle que jamais. Elle s'est assurée de ma coopération en menaçant de s'en prendre à ma femme et ma fille. La jeune épouse du prince Henri nous a invités sur ses recommandations à donner une représentation au château. Je devais m'arranger pour que Niccolò, son apprenti et homme de main, pénètre dans l'aile du palais réservée à la collection royale. Tu le connais : c'est le boiteux qui nous a pourchassés dans les rues de Paris. J'ai Tissé une illusion pour qu'il puisse se faufiler sans lever l'alerte. J'ai toujours eu un certain doigté avec les jeux de lumière, un peu comme João. Elle ne m'avait rien dit de l'objet recherché et je ne voulais pas le savoir. Je ne l'ai appris que bien plus tard, à Chartres, de la bouche de Guy.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant