23. La cruelle loi du choix (3/3)

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Le lendemain, la guérisseuse s'assure d'abord de ma santé et se montre satisfaite à l'issue de son examen attentif : ma fièvre est tombée, la plaie commence à se refermer. J'ai interdiction formelle de quitter ma couche, mais suis autorisé à m'asseoir avec de l'aide.

Nous levons le camp dans l'après-midi. Malgré les quelques jours écoulés depuis les événements de Chartres, Fabrizio redoute les poursuites et nous repartons donc une fois de plus sur les chemins modestes des campagnes françaises, à l'écart des routes principales.

Le repos forcé me pèse rapidement sur les nerfs. Je me sens mieux et préférerais mille fois être assis sur le banc, au grand air, à côté de Heinrich et Geiléis. Au fond de mon lit, je n'ai personne avec qui discuter, rien à lire et mes sombres pensées pour seule compagnie. Autant m'atteler sérieusement au problème de la Horde Sauvage ! Lorsque je songe à l'étrange comportement de la main de João lors du combat au bâton contre Guy, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter bien plus que je n'en ai laissé paraître devant lui. Quel destin horrible que d'être trahi par son propre corps ! Même si nous repoussons la Horde cette fois encore, la main du Portugais guérira-t-elle ? Comment le soigner de ce mal qui le ronge ? Une idée m'effleure l'esprit, mais je répugne à l'étudier sérieusement. Je la range dans un coin de mes pensées, sans toutefois l'oublier complètement.

Je suis là, à broyer du noir, quand Heinrich se glisse par la fente de la bâche. Mon sourire ravi se fige devant son air renfrogné. Il s'assied sur la paillasse voisine, les bras croisés, le regard accusateur.

— Geiléis veut que je te parle.

— Ah ?

Son ton maussade ne me dit rien qui vaille. Il prend une inspiration.

— Tu ne m'avais pas dit que tu étais le fils bâtard d'un seigneur de Provence.

Les paroles malheureuses qui m'ont échappées la veille reviennent m'aiguillonner. Je me mords la lèvre. Préoccupé par le sort de João, j'avais complètement oublié mon écart malencontreux.

— Non, confirmé-je, honteux.

Je me force à affronter son regard d'un bleu glacé.

— Mais tu l'avais dit à Guy et João, continue-t-il d'un ton lourd de reproches.

— J'ai pu leur laisser entendre une chose pareille.

— Je croyais que nous étions amis... je te faisais confiance comme à un frère... et je découvre que tu partages tes secrets avec tout le monde, sauf moi.

La déception dans sa voix me blesse autant qu'une lame aiguisée en plein cœur. Il a raison, bien sûr. Je n'ai aucune excuse. J'aurais dû raconter mon histoire à toute la compagnie, après ma conversation avec Guy.

— Je suis vraiment désolé. Guy, puis João m'ont tiré les vers du nez. J'étais coincé, mais j'aurais dû t'en parler également.

Je soupire. Quel bel idiot j'ai été !

— Je te demande pardon.

Je baisse la tête d'un air contrit. Heinrich ne me répond pas et sa main joue nerveusement avec la gourmette à son poignet. Un silence inconfortable s'installe entre nous. Les cahots du chemin secouent la carriole et réveillent les élancements de mon flanc. Mes doigts se crispent sur le matelas de paille.

— Je ne t'ai rien caché, moi, observe le jeune Allemand au bout de ce supplice. Je t'ai même raconté ma vision des spriggans.

Je me remémore notre discussion sur le banc du chariot, juste après notre débarquement à Dieppe. Heinrich s'était ouvert à moi avec une franchise très naturelle. Il semble être le seul de la compagnie à avoir été toujours honnête, à n'avoir rien dissimulé.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant