24. Une simple croix d'argent (2/3)

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Le soir venu, après un dîner frugal, nous nous retrouvons tous autour du feu, dans l'attente des explications promises.

Quelle que soit l'idée de Guy, elle arrive en sauveuse. Jamais je n'oublierai le regard hanté de João lorsqu'il a posé son épée, affûtée de frais, devant Geiléis un soir et l'a priée de lui couper la main du ton qu'il aurait employé pour demander de lui retirer une écharde. Il a déclaré qu'ainsi, qu'il meurt ou qu'il survive, il ne serait au moins plus une menace pour nous. La guérisseuse l'a finalement convaincu de l'inutilité du geste. Ses paroles fatalistes résonnent encore à mes oreilles. « Le Grand Veneur n'a pas seulement marqué ta chair, mais ton âme également. Je peux trancher ta chair, je ne peux te mutiler l'âme. »

Mon regard glisse en catimini vers la silhouette capuchonnée d'ombre du Portugais à l'écoute des prochains mots.

— Alors, quel est donc ce plan dont tu parlais tout à l'heure ? interroge Heinrich avec impatience.

Guy se racle la gorge. Il paraît hésiter un peu. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je ne vais guère plus aimer son idée que celle de João.

— J'ai repensé à ce que nous a dit Geiléis au sujet de la Horde Sauvage, sur les puissances qui pouvaient espérer la défier.

La gardienne lève aussitôt la main pour l'interrompre.

— Il n'y a rien à attendre de ce côté. Mes dieux et le vôtre ont cessé depuis bien longtemps d'intervenir directement dans les affaires des hommes. Áine se trouve loin d'ici et son royaume m'est désormais fermé. Quant aux dragons... ils sont pour la plupart endormis. Heureusement, d'ailleurs, car si nous en croisons un, le Grand Veneur sera le cadet de nos soucis.

Geiléis attrape une de ses nattes et la tortille entre ses doigts.

— Il reste une dernière possibilité, dont je n'ai pas encore parlé, parce qu'elle n'est guère envisageable vu notre situation. Quelqu'un a appelé la Horde Sauvage et passé un contrat avec le Grand Veneur. Je n'ose d'ailleurs imaginer le prix qu'il a pu exiger contre les âmes de quatre Veilleurs. Si le commanditaire venait à mourir, alors ce contrat serait caduc.

La gardienne soupire. Ses yeux emplis d'une tristesse impuissante se tournent vers João avant de glisser vers Guy et Heinrich.

— Malheureusement, nous ne connaissons pas son identité et je doute que nous le trouvions sur notre route d'ici à la prochaine pleine lune. Quel jour sommes-nous, déjà ?

— Le 19 juin, précise Guy, qui a tenu un décompte exact. Dans six jours à la même heure, la lune sera pleine.

— Le nom du responsable n'est pas un grand mystère, crache João. C'est fra' Torque, bien sûr ! Tu aurais dû lui trancher la gorge quand tu en avais l'occasion, Fabrizio ! Dire que nous aurions été débarrassés de deux problèmes en même temps !

Je devine à sa voix pleine d'amertume qu'il a déjà eu cette discussion avec notre chef. Au même moment, sa main droite se crispe dans un mouvement convulsif et il la glisse subrepticement derrière son dos. Je frémis.

— Nous n'allons pas revenir là-dessus, reprend l'Italien d'un ton bourru. J'avais autre chose en tête à ce moment-là. Et puis... je ne suis pas persuadé que Torque soit le commanditaire.

— Ah oui ? Et qui d'autre serait-ce donc ? rétorque João, sarcastique. Le zélé cardinal ?

— Giulia de' Gandolfi, suggère Fabrizio en baissant les yeux.

Je scrute les plis de son visage dans le jeu d'ombre du couchant. J'imagine qu'il connaît fort bien le caractère de son ancienne élève pour avancer une telle hypothèse.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant