15. Nobles lignées (3/3)

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De bonne heure le lendemain, pendant que je m'occupe de nourrir les mules avec Pedro, Guy s'approche, encombré de la sacoche de cuir avec laquelle je l'ai vu revenir la veille. Il m'examine des pieds à la tête, pince les lèvres et lève les yeux au ciel dans une mimique affligée.

— Guillaume, viens par ici, s'il te plaît.

Je m'avance, méfiant. Que va-t-il encore me reprocher ?

— Que se passe-t-il ?

— Penses-tu vraiment pouvoir être reçu au Louvre en empestant l'écurie à plein nez ?

Je renifle la manche de mon vieux pourpoint, grimace et dois convenir en mon for intérieur que je ne suis pas très présentable.

— Suis-moi ! intime-t-il en s'éloignant à grands pas vers l'auberge.

Après discussion avec le tenancier et échange de quelques écus, il obtient que celui-ci fasse chauffer de l'eau. Le patron fait installer un baquet dans l'une des petites chambres du rez-de-chaussée. Guy extrait de sa sacoche une chemise de soie, un magnifique pourpoint de velours rehaussé de fils d'or et des hauts-de-chausse plissés.

— Tu mettras ces habits. Ils appartenaient à mon frère François. Ils sont sans doute un peu grands pour toi, mais faute de mieux, cela devrait convenir.

La fille du tenancier arrive avec deux seaux remplis à ras bord et les déverse dans le baquet. Elle me laisse un pain de savon, puis se retire sur une courbette. Je jette un regard noir vers Guy.

— Je peux me laver tout seul, tu sais. Je sais faire, pointé-je d'un ton narquois.

Les yeux de Guy repartent aussitôt vers le plafond, comme s'il s'exaspérait de ce nouveau caprice. Heureusement, il n'insiste pas pour surveiller mes ablutions !

— Bien, je te laisse, alors. Mais récure-moi aussi ces cheveux pleins de crasse !

La porte se referme sur lui et je pousse un soupir de soulagement. Après avoir soigneusement tiré le loquet, je prends avec volupté mon premier bain depuis fort longtemps. J'avais presque oublié la caresse suave de l'eau, les bouffées de vapeur qui perlent sur les cheveux, ce délassement des muscles sous la chaleur. Je frotte avec le savon jusqu'à m'en rougir le cuir, puis me sèche dans le drap laissé par la fillette. Mes ablutions terminées, j'enfile les beaux habits avec un plaisir indéniable. Le velouté du tissu épouse ma peau. Je lisse les pans du pourpoint et en admire la coupe parfaite. Si le Français affirme n'avoir que peu de biens en propre, sa famille semble fort riche.

Quand je ressors peu après, Guy m'examine de la tête aux pieds d'un œil critique, avant d'opiner avec satisfaction.

— Voilà qui est beaucoup mieux ! Tu ceindras également ta rapière, bien sûr.

En me voyant ainsi équipé, Heinrich pousse un petit sifflement admiratif.

— Eh bien, ne voilà-t-il pas Guillaume, le parfait gentilhomme ?

— Tu es juste jaloux de ma haute distinction, avoue ! raillé-je en paradant comme un coq.

Guy va se changer à son tour et revient habillé en noble seigneur. Son pourpoint de drap dernier cri aux crevés volumineux souligne sa taille élégante. Le bleu cobalt de son béret s'accorde au ruban qui retient ses cheveux. Mon regard glisse jusqu'à ses fins souliers de cuir cirés de frais. Son raffinement n'a d'égal que sa prestance. En le voyant ainsi paré, j'ai l'impression d'avoir affaire à un homme différent. Je me sens presque un peu ridicule à ses côtés, dans mes habits trop grands.

Équipés de pied en cape pour notre entrevue, nous prenons la direction des portes de la capitale. Le chemin longe un canal au milieu des champs, puis nous dépose au sommet d'une dernière butte. La ville s'offre devant nous en une fourmilière grouillante d'agitation fébrile. Ses hautes murailles tranchent sur la campagne à perte de vue. Le ruban gris de la Seine s'enroule autour de l'île de la Cité et poursuit sa course vers l'ouest dans la plaine. Une foule dense et bigarrée se bouscule sur le large pont de pierre qui enjambe les douves aux eaux vaseuses.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant