Je traverse le campement de l'armée endormie, la tête rentrée dans les épaules, de la démarche décidée d'un écuyer qui sait parfaitement où il va. Avec de larges détours, j'évite les mares de lumière et les pavillons plus importants où les soldats éveillés montent une garde vigilante.
Un grand poids s'est levé de ma poitrine ; je me sens serein, apaisé. J'ignore ce qui m'attend demain ou dans les jours à venir. Quels pièges nos ennemis imagineront-ils la prochaine fois ? Quels obstacles notre quête nous réserve-t-elle ? Peu importe, la satisfaction du devoir accompli me donne la force de tout affronter.
Plongé dans mes pensées, je n'aperçois qu'au dernier moment le petit groupe qui avance à ma rencontre – une patrouille de gardes, sans doute. Je me raidis avec un début d'affolement. Si je m'écarte de ma route, je risque d'attirer leur attention. Le nez baissé, je maintiens mon allure en retenant mon souffle. À mon profond soulagement, ils me dépassent sans m'accorder la moindre importance.
Un rayon de lune argenté se reflète sur l'armure de l'homme de tête. Les deux autres silhouettes disparaissent sous d'amples capes, le capuchon rabattu sur le visage. Je les suis du regard ; leur dissemblance m'intrigue. Avec ses six pieds de haut, le premier domine son menu compagnon à peine plus grand que moi : un géant et un nain. Ils poursuivent leur route parmi les tentes endormies. Une odeur forte, suave, capiteuse me chatouille les narines. Je m'arrête net. J'ai déjà senti cette fragrance, ce parfum de rose.
Je pivote sur les talons, tiraillé par deux impulsions contraires. Les trois promeneurs nocturnes continuent leur chemin et je ne vais pas tarder à les perdre de vue. Je dois prendre une décision rapidement. Le cœur battant, je leur emboîte le pas.
Je me maintiens sans mal derrière le petit groupe. Le quartier de lune déclinant ne dévoile que peu les obstacles et ils avancent avec précaution. Aucun ne se retourne.
Ils finissent par s'arrêter près d'une vaste tente encore éclairée. Le garde y pénètre pendant que les deux formes encapuchonnées patientent au-dehors. Plusieurs soldats maintiennent une faction vigilante alentour. À la lumière des braseros, je reconnais leurs livrées. Mon ventre vide émet un gargouillement nauséeux tandis que des hypothèses toutes plus angoissantes les unes que les autres fleurissent dans mes pensées. Je passe une pointe de langue nerveuse sur mes lèvres desséchées, essuie mes mains moites sur ma chemise. Je dois absolument découvrir ce qui se trame ici ! Hélas, je ne peux compter sur la Toile pour m'aider. L'aventure de l'abbaye m'a servi de leçon.
Contournant le campement éclairé, je m'approche par-derrière. Les ténèbres enveloppent l'arrière de la tente ; les lieux ne sont pas surveillés. Je m'allonge au sol et rampe sur la vingtaine de pas qui me séparent du pan de tissu. Une brève hésitation me retient encore. Des voix confuses me parviennent. Un frisson me secoue, sans rapport avec la fraîcheur de l'air. Je ne peux pas reculer maintenant ! Priant pour que l'attention de l'occupant soit détournée par ses visiteurs, je me glisse sous la bâche.
Je découvre un espace confortable, aménagé avec un goût raffiné soutenu par une profusion de richesses. D'épais tapis recouvrent le sol pour isoler de l'humidité du matin ; des tentures brodées décorent les pans de toile d'aperçus bucoliques ; un grand lit aux draps de soie ouvre le velours de ses rideaux sur ma droite. J'esquisse une grimace un peu méprisante devant le contraste avec le mobilier sobre et fonctionnel de mon père. L'occupant des lieux n'a rien d'un guerrier en campagne. Plusieurs gros coffres aux ferrures ouvragées s'alignent en face de moi. Je rampe jusqu'à l'un d'eux et m'accroupis derrière.
— Que voulez-vous ? demande un timbre de baryton, hautain et sec de tracas, que je reconnaîtrais entre mille. Nous avions convenu que vous ne prendriez pas contact directement avec moi. C'est extrêmement délicat d'organiser ce genre de rendez-vous. Si nous étions vus ensemble...
VOUS LISEZ
Le crépuscule des Veilleurs
Fantasy1534. La Renaissance, début d'une ère. La science prend son envol, l'art italien fascine l'Europe, un parfum d'idées nouvelles flotte dans l'air. Depuis la nuit des temps, les Veilleurs protègent le sommeil des Dormeurs. Ils gardent en secret la fro...