20. Le chasseur (1/2)

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Nous nous arrêtons peu après, à l'écart de la route, dans un pré d'herbes folles parsemé de quelques arbres. La lisière d'une forêt tranche l'horizon d'un vert profond imprégné des ombres de cette fin de journée. Une fois le campement installé avec sa ribambelle de corvées familières, la luminosité ambiante permet d'envisager en toute sérénité une séance d'entraînement au bâton avec João – ou bien devrais-je dire, une distribution de coups, bleus et bosses ? Je reçois donc encore stoïquement quelques tapes sur les doigts, une demi-douzaine de châtaignes, un zeste d'estocades, mais dans l'ensemble je parviens à dévier une partie des attaques du Portugais. J'observe sa façon de combattre, toujours en mouvement, impossible à saisir, et tente de l'imiter. Une fois de plus, l'extrémité de son bâton me cueille au creux du ventre. Je roule à terre le souffle coupé et lève la main en signe d'abandon.

— Je me rends, hoqueté-je. J'ai besoin d'une pause.

Une voix grave et ferme s'élève derrière moi.

— Puis-je prendre sa suite ?

Je me retourne sur un coude pour découvrir la haute silhouette de Guy juste derrière moi. Il se penche et ramasse mon bâton.

— Guy ? m'étonné-je. Tu n'es pas en train de lire ?

Je me redresse en m'époussetant, essuie la sueur qui me dégouline dans les yeux, enfourne les pans de ma chemise terreuse dans mes hauts-de-chausse et retiens un gémissement en tâtant l'ecchymose naissante sur ma cuisse. Le Français soupèse mon arme de fortune, puis exécute quelques mouvements amples pour se familiariser avec son équilibre.

— Geiléis me dit que mon bras est remis et qu'un peu d'exercice lui ferait du bien, explique-t-il d'un ton détaché. Alors João, es-tu partant pour échanger quelques passes ?

D'un large geste, le Portugais l'invite à avancer. Un sourire discret soulève le coin de sa moustache et je crois voir une lueur espiègle briller dans ses yeux noirs. Je me recule de plusieurs pas pour profiter du spectacle en toute sécurité.

— Je ferai un effort pour te ménager, prévient João d'un ton narquois.

— J'essaierai de ne pas avoir la main trop lourde en te rossant, rétorque Guy.

Mes deux compagnons se mettent en garde et se dévisagent un instant, puis João se rue à l'assaut tel un fauve sur sa proie. Son bâton heurte violemment celui de Guy qui pare le coup sans hésiter. Est-ce donc cela qu'il appelle ménager ?

Les deux hommes enchaînent une série d'attaques, de feintes et d'esquives, rythmées par le claquement des armes de bois. J'ai du mal à suivre leurs mouvements. João voltige dans un ballet étourdissant. Le bâton de Guy arrive souvent un instant trop tard, à l'endroit que l'insaisissable Portugais délaisse dans la fluidité de l'eau vive. Pourtant, ses contre-attaques éclair rencontrent immanquablement la branche du Français sur sa route. Guy anticipe, feinte et surprend même parfois João au milieu d'une cabriole. Celui-ci pare, se dégage d'une rude bourrade tout en lançant son bâton vers le flanc gauche de son adversaire, du côté de son ancienne blessure. Je trouve sa tactique déloyale, mais je suppose que dans un véritable combat tous les coups sont permis.

Le Portugais enchaîne les assauts avec une énergie inépuisable, tandis que le Français donne des signes de fatigue. Il recule plus souvent qu'il ne part à l'attaque. Son visage se crispe. Sa faiblesse n'échappe pas à João qui presse son avantage, jaillissant de droite et de gauche comme autant de serpents belliqueux. Dans un dernier plongeon, il se glisse sous la garde de Guy et le renverse à terre. Son bâton s'arrête à un doigt de la gorge adverse.

— Tu es mort ! annonce-t-il.

— Toi aussi !

L'extrémité du bâton de Guy est pressée contre le flanc du Portugais. Celui-ci laisse échapper un petit rire déconfit.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant