La gardienne se hisse sur cette première marche et nous tend la main. João s'en saisit le premier. Plus hésitant, Guy s'avance derrière lui et les rejoint sur la patte écailleuse. Heinrich s'incline devant moi avec un sourire charmeur et, d'un large geste, m'invite à suivre leur exemple. Si Geiléis n'avait pas été là pour montrer le chemin, jamais je n'aurais osé m'approcher de ce monstre. J'admire une fois de plus son courage, tandis que j'attrape sa main offerte. Je croise son regard vert, profond comme les forêts séculaires, et son sourire confiant dissipe les derniers voiles de ma peur.
Nous montons le long du membre reptilien. J'ignore combien de temps dure cette ascension irréelle. Nous suivons en file indienne la mince lueur dorée jusqu'à déboucher sur une vaste plaine pavée d'écailles aussi grandes qu'un homme. Notre guide s'arrête enfin.
— Installons-nous ici, s'assied-elle simplement.
Nous nous blottissons les uns contre les autres, subjugués par l'étrangeté qui nous entoure. Je puise un filet d'assurance dans la présence familière de mes compagnons. Après une brève hésitation, Guy passe un bras autour de mes épaules. La chaleur réconfortante de son corps aide à chasser de mon esprit le souvenir terrifiant des yeux jaunes. Je pose ma tête sur sa poitrine et laisse l'angoisse refluer, bercée par le cadencement apaisant des battements de son cœur. Je voudrais ne jamais quitter cette étreinte.
La voix caverneuse du dragon descend jusqu'à nous.
— Dormez, Petits Êtres Fragiles. Le Voyage Sera Long.
Un souffle chaud m'enveloppe de son baume d'oubli. Mes paupières se ferment d'elles-mêmes. Je m'enfonce dans un sommeil sans rêves.
* * *
Des voix me tirent vers la conscience. Je flotte dans un demi-sommeil sans savoir si je rêve ou si je suis éveillée. Je ne peux pas bouger. Mon corps semble encore endormi. Pourtant, je perçois les paroles d'une conversation avec une limpidité évidente. Je reconnais immédiatement les vibrations caverneuses du dragon, mais je mets plus longtemps à identifier son interlocuteur. Sa voix, grave et sombre, résonne comme le glas à mes oreilles.
— Ce voyage n'aura-t-il donc pas de fin ?
— Pourquoi Ne Dors-Tu Pas, Petit Homme ? Le Temps Passerait Plus Vite.
— Je ne peux dormir cette nuit entre toutes. J'entends dans le lointain la rage du chasseur privé de sa proie.
— Vous Aurez Besoin De Toutes Vos Forces Dans La Quête Qui Vous Attend, reprend le dragon.
— À quoi bon lutter ? Tout est perdu. La puissance de nos ennemis nous dépasse. Je suis condamné à une éternité d'errance.
Je perçois dans sa voix lasse, atone que tout espoir l'a déserté. João n'entrevoit pas d'issue à son mal et n'attend plus rien de la vie. Où donc a disparu le compagnon bravache qui espérait affronter son destin l'épée à la main ? Est-ce la rencontre de cette nuit qui a déchiré le dernier voile de ses illusions ? Avec un frisson d'horreur, je revois son bras dressé vers la lune en réponse à l'appel du Grand Veneur. A-t-il pris conscience que jamais il ne parviendrait à lutter contre cet envoûtement ? Pour la première fois, je mesure toute la profondeur de son désespoir et mon cœur chavire avec lui dans ce gouffre.
— Tu Ne Sais Pas Tout, Fragile Créature. Bien Des Secrets Te Sont Cachés. Même Moi, Je Ne Peux Prétendre Connaître Tous Les Méandres De L'Avenir. Le Destin Pourrait Encore Te Surprendre.
Le Portugais laisse échapper un ricanement désabusé, aussi râpeux qu'une pierre brisée.
— Partout où je regarde, je ne vois nulle issue.
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Le crépuscule des Veilleurs
Fantasy1534. La Renaissance, début d'une ère. La science prend son envol, l'art italien fascine l'Europe, un parfum d'idées nouvelles flotte dans l'air. Depuis la nuit des temps, les Veilleurs protègent le sommeil des Dormeurs. Ils gardent en secret la fro...