8. Le poids des conséquences (2/2)

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Les rênes de la mule pendent du banc déserté par João. Je me laisse glisser à terre, sans faire de bruit. De grands arbres nous entourent de leurs branches bourgeonnantes. Leurs ramures clairsemées se détachent sur le bleu limpide d'une belle journée printanière. Les rayons du soleil éclairent les sous-bois de leur lumière encore rasante. J'ai dormi à peine une heure ou deux.

Je trouve João et Fabrizio en grande discussion avec une femme d'un roux flamboyant. Pedro se tient quelques pas prudents en retrait sans oser intervenir dans la conversation.

Malgré sa fine carrure, leur interlocutrice barre le chemin, pieds écartés. Elle serre dans ses mains un bâton de chêne noueux plus grand qu'elle, planté en terre. Sa courte robe brune retenue à la taille par une ceinture tressée la désigne comme une humble paysanne et, pourtant, une autorité incontestable se dégage de son attitude défiante. Elle relève un menton pointu pour toiser Fabrizio du regard ; sous son geste, les longues nattes de sa chevelure coulent sur ses épaules. Je serais bien incapable de lui donner un âge. Les traits plutôt doux de son visage constellé de taches de rousseur contrastent avec sa crâne assurance. Je me gratte la tête, intrigué. Ne l'ai-je pas déjà croisée quelque part ?

— De toute façon, ce n'est plus qu'une question d'heures, lance-t-elle d'une voix claire comme l'eau d'un ruisseau. Les hommes du comte ont rebroussé chemin. Ils vont quadriller la région. Ils trouveront l'illusion que vous avez Tissée.

— Dans ce cas, vous êtes en train de nous faire perdre un temps précieux ! s'énerve Fabrizio à grands gestes véhéments. Laissez-nous passer !

La femme mystérieuse secoue la tête d'un air désolé.

— Ces bois sont sacrés. Vous ne pouvez pas entrer sans guide et sûrement pas sans mon accord. Je suis la Gardienne du Kent.

À ces mots, elle frappe le sol de son bâton et les arbres frémissent en réponse, agités par un vent soudain.

Je me rapproche à pas feutrés de Pedro qui m'accueille d'un sourire. Il se penche pour chuchoter à mon oreille :

— Cette dame dit qu'elle nous attendait ici, qu'elle nous a vus en rêve. Je crois que cela n'a pas plu à señor Fabrizio.

Le palefrenier secoue la tête et lève les yeux au ciel devant ce qu'il perçoit sans doute comme une lubie étrange.

La voix râpeuse de João insiste d'un ton posé, mais sans équivoque :

— Le chemin que vous suggérez est risqué, dangereux. Comprenez notre réticence.

La prétendue gardienne tourne vers lui un sourire conciliant.

— Il l'est assurément, mais je l'ai parcouru maintes fois. Vous pouvez gagner Douvres avant la tombée de la nuit, contournant les barrières que le bailli a mises en place. Même si je vous autorisais à passer et que vous traversiez ce bois sans encombre, vous ne pourriez sortir du Kent sans vous heurter à des soldats, encore moins rejoindre le port.

— Pourquoi croyez-vous que nous souhaitons nous rendre à Douvres ? intervient Fabrizio.

Le rire cristallin d'un chant d'oiseau franchit ses lèvres.

— Parce que c'est le port le plus proche, évidemment ! Rapidement, il sera surveillé, gardé. Pour l'instant, vous n'êtes recherchés que dans les environs, mais vous devez quitter l'Angleterre, vite, très vite. Ce soir si possible, demain à l'aube au plus tard.

Poussé par la curiosité, je m'approche de quelques pas de plus. Découvrant ma présence, João m'observe de l'air circonspect qu'il réserverait à un chiot dans un jeu de quilles. Fabrizio lève les bras au ciel dans une pantomime surjouée. Je ne relève même pas la froideur de leur accueil, mon attention reste rivée sur leur interlocutrice énigmatique.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant