11. Trois fleurs de lys (1/2)

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Les chariots sont arrêtés en bordure de forêt, sur la falaise. Je saute à terre pour rejoindre le reste de mes compagnons. Au même moment, Pedro passe la tête par la fente de la roulotte voisine, les yeux encore tout gonflés de sommeil.

— Oh ! Guillaume ! Je crois que je me suis assoupi. Où sommes-nous ?

— Nous avons traversé la forêt sans encombre et nous sommes non loin du port de Douvres.

Fabrizio, João et Heinrich entretiennent une discussion animée avec Geiléis. Aux éclats de voix, je devine qu'une fois de plus, ils sont en désaccord.

— Nous vous remercions sincèrement pour votre aide et les soins apportés à notre ami, déclare João de son timbre râpeux, mais je pense honnêtement qu'il vaut mieux pour tout le monde que nos chemins se séparent ici.

— Nous allons avoir fort à faire pour échapper à nos poursuivants, renchérit Fabrizio dans un grondement de volcan, vous serez plus en sécurité loin de nous. Les hommes du comte vont nous traquer comme des criminels, dannazione !

— Vous ne comprenez pas, reprend Geiléis, un pli déterminé entre les sourcils. Je suis consciente des dangers, je sais que vous êtes poursuivis, mais Dana et tous les esprits gardiens m'ont parlé. Je dois vous accompagner, sans cela cette quête est perdue d'avance. Nous sommes liés par les voix des rêves. Vous l'avez senti, n'est-ce pas ?

João maltraite sa moustache dans un geste agacé bien loin de son calme taciturne habituel.

— Nous sommes un groupe de saltimbanques. Voix ou pas, cette caravane n'est pas la place d'une femme ! lâche-t-il d'un ton désapprobateur. Contrairement à ce que vous semblez croire, nous ne sommes pas en quête, mais en fuite !

Ses mots sonnent comme une fin de non-recevoir. Je ne peux m'empêcher d'intervenir.

— Enfin, vous avez bien senti le lien qui nous unissait, non ? Et tout ce qu'elle a fait pour sauver Guy, ce choix qu'elle a accepté pour nous, cela ne compte-t-il pas à vos yeux ?

— Bien sûr que si ! Et je lui en suis profondément reconnaissant, répond João en essayant d'adoucir son ton, mais nous sommes des inconnus qui ne faisons que passer. Elle est gardienne du Kent. Sa place est dans ces forêts. Enfin, Guillaume, ouvre les yeux ! Nous ne savons même pas où nous serons demain, encore moins dans quelques jours. Ce n'est pas une vie pour une jeune femme, fût-elle une Veilleuse talentueuse.

Il termine sa diatribe avec un léger signe de tête vers Geiléis, comme pour atténuer le mordant de ses paroles, mais croise les bras d'un air buté qui ne présage rien de bon.

— Pourquoi ne pourrait-elle pas rejoindre notre compagnie, si tel est son souhait ? tenté-je malgré tout.

Fabrizio lève les mains au ciel dans une éruption de mauvaise humeur.

— Parce que nous n'avons pas de place pour une personne de plus, parce que nous n'avons pas besoin de personnage supplémentaire dans nos spectacles, parce que c'est une bouche de plus à nourrir, parce que nous voyageons dans des conditions qui ne sont pas convenables pour une femme et parce que c'est moi le chef ici !

L'Italien conclut ces paroles dans un roulement de tonnerre et plante les deux poings sur ses hanches. Son regard noir me défie de le contredire.

Je n'ai pas le temps de rétorquer, une voix hésitante s'élève derrière nous.

— J'ai dû manquer les derniers événements, je crois. Quelqu'un peut-il m'expliquer ce qui se passe ici ?

Nous nous retournons tous d'un bloc. La tête encore un peu pâle de Guy se penche par l'ouverture du chariot. Je pousse un cri de joie, soulagé de le voir enfin réveillé.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant