Les gardes nous entourent avec des froncements de sourcils méfiants, tandis que le grand maître de France nous conduit à la tente de la salamandre. Jacques suit derrière, tenant les rênes du cheval et de la mule et secouant la tête d'un air attristé.
Devant le pavillon royal, Guy se retourne vers son ami resté en retrait.
— Attends-moi ici, Jacques, et ne laisse personne s'approcher de ce chariot tant que le roi lui-même n'en a pas donné l'ordre.
Jacques acquiesce d'un signe de tête et Anne de Montmorency nous emmène sous la haute tente.
Sans surprise, le souverain ne nous y attend pas seul. Plusieurs guerriers et nobles seigneurs sont rassemblés autour de lui, semés de regards avides et de rictus voraces. Ont-ils tous accouru pour assister à la disgrâce d'un fils de Lorraine ou bien se trouvaient-ils déjà sur place quand l'annonce de notre arrivée s'est répandue dans le campement ? Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons compter sur aucun soutien dans cette assemblée qui se délecte à l'avance du spectacle.
Assis sur une simple chaise de camp, devant une table couverte de cartes et de croquis, le roi François nous regarde avancer d'un air dur, empreint d'une colère froide, à cent lieues de la bonhomie de son précédent accueil.
À distance respectable, Guy descend un genou à terre et baisse la tête en signe d'humilité.
— Sire.
Je l'imite, un pas en retrait.
Un silence d'expectative funeste s'installe sous l'abri de toile. Je tremble légèrement. À genoux ainsi, sous le regard distant du monarque, une inquiétude pernicieuse grignote ma confiance : et si je m'étais trompée ? Si les paroles que Guy s'apprête à prononcer ne faisaient qu'attiser sa fureur ? Hélas, il est trop tard pour reculer, maintenant. Nous devons aller jusqu'au bout.
Le roi rompt enfin le silence d'un ton sec.
— Je ne pensais pas vous revoir un jour devant moi, Monsieur de Tréveray.
Sans lever les yeux, Guy répond d'une voix ferme.
— Je suis navré pour le temps qu'il m'a fallu, sire, mais je vous rapporte les cinq cent mille écus que vous m'avez demandé de retrouver. Vous aviez raison : votre surintendant des finances avait traîtreusement dérobé cet argent dans vos caisses.
Le roi bondit sur ses pieds, estomaqué.
— Cinq cent mille écus !
— Oui, sire, reprend Guy d'un ton égal. Le baron s'est laissé tromper par votre ruse. J'ai ainsi pu mettre la main sur les lettres qu'il a échangées avec sa conspiratrice à Venise et qui sont la preuve de sa félonie. Enhardi par l'annonce de ma disgrâce, Monsieur de Semblançay ne s'est pas méfié de moi.
Je retiens mon souffle. Le roi va-t-il réfuter les paroles de mon compagnon, admettant ainsi devant toute la cour qu'il a été trompé par Jacques de Beaune ? Ou bien va-t-il accepter la fable que nous lui proposons et reconnaître du même coup que Guy a agi sur son ordre, que l'annonce de sa traîtrise était une ruse pour mieux endormir la vigilance du félon ?
Le roi demeure songeur un instant. Il tapote machinalement les cartes sur la table.
— Relevez-vous, Monsieur de Tréveray.
Dans sa voix encore empreinte de stupéfaction, le timbre s'est adouci.
— Vous allez me montrer ces écus et ces lettres, reprend-il d'une intonation liserée d'un reste de méfiance.
Je laisse échapper un discret soupir de soulagement tandis que je me relève à mon tour. Le roi veut des preuves, toutefois il a clairement mordu à l'hameçon. Guy a vu juste. Un monarque n'a pas droit à l'erreur. Nous lui offrons un moyen de ne pas perdre la face, de sauver son honneur. Il a saisi l'occasion au bond.
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Le crépuscule des Veilleurs
Fantasy1534. La Renaissance, début d'une ère. La science prend son envol, l'art italien fascine l'Europe, un parfum d'idées nouvelles flotte dans l'air. Depuis la nuit des temps, les Veilleurs protègent le sommeil des Dormeurs. Ils gardent en secret la fro...