Chapitre 2

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Elle craignit tellement d'arriver en retard qu'elle fut prête et postée au restaurant dès huit heures trente. Sa nervosité transparut à tous ceux qui lui adressèrent un coup d'œil, même furtif, mais également son élégance. Dans sa robe patineuse jaune moutarde à pois blanc, elle rayonna au milieu des autres clients. Comme à son habitude, elle joua l'insouciance, comme si elle ne remarqua aucun regard, alors qu'au fond d'elle, son cœur frappa sa poitrine de plus en plus fort. Tel un radar, elle sentit chaque regard sur sa personne ce qui lui fit bomber davantage le torse pour les parer et dresser un rempart invisible entre eux et elle. Elle espéra les repousser en montrant une assurance démesurée bien que factice. Certains s'écrasent et disparaissent dans la foule en espérant ne pas l'affronter, elle, elle s'en détachait complètement et donnait l'illusion de ne pas pouvoir se mélanger à elle.

Cependant, la seule arrivée de son rendez-vous fragilisa sa mince armure mais Bill ne sembla pas s'en apercevoir en approchant de sa table, les mains dans les poches, en toute décontraction. Du moins ce fut ce qu'elle crut car lui aussi avait cette faculté à s'élever au-dessus des autres pour éviter de se retrouver comprimé par eux. Il ne laissa d'ailleurs pas tomber cette mascarade quand il lui tendit la main pour la saluer. Elle y répondit avec une certaine fermeté, les yeux levés vers ses lunettes noires qu'elle maudit de trouver à nouveau sur le bout de son nez et dissimuler son regard. Mais leur poignée de main suffit à lui donner certains éléments. Elle avait toujours détesté ceux qui laissaient leur main tomber comme un flan, qui dégoulinaient presque et qui lui donnaient envie de laver ses mains juste après, comme si cela allait effacer ce moment désagréable. Ceux qui broyaient les doigts n'avaient pas plus d'estime à ses yeux, elle avait constamment l'impression que leur but n'était que de la soumettre en un instant avec trop de pression et pas assez d'écoute et de partage pour savoir doser leur force, comme si toute forme de dialogue était déjà rompue.

Or avec Bill, cela se passa exactement comme elle l'espérait en permanence. Leurs deux mains étaient bien imbriquées, la poigne ferme mais pas oppressante et elle ne dura pas plus de quelques secondes.

Il s'installa face à elle, à l'abri du soleil déjà chaud grâce au parasol, mais il ne retira pas ses lunettes noires pour autant, au contraire il les ajusta sur le bout de son nez. Elle retint un sourire en constatant que sa chemise en lin blanche avait si ouverte qu'elle put admirer le haut de son torse sans effort. Elle essaya tout de même de s'abstenir puisqu'elle n'avait pas de lunettes pour se dissimuler un minimum contrairement à lui qui pouvait plonger sans vergogne dans son décolleté pourtant léger.

Elle alluma son portable d'une simple pression afin de vérifier l'heure mais également de se donner un semblant de contenance face à lui tant il l'impressionna.

« T'es en avance, déclara-t-elle en guise de désamorçage.

- Toi aussi. Et je déteste être en retard.

- Moi aussi. Tu vas bien ?

- Oui. Et toi ?

- Ça va. »

Elle espéra un rebondissement, une remarque, une question même idiote mais elle se retrouva confronter à son silence le plus absolu, même sa respiration ne se fit pas entendre. Elle repensa alors à ce qu'il lui avait répondu la veille, lorsqu'elle lui avait proposé de se revoir. « Avec plaisir » ? Si tel était le cas, il le cachait à merveille parce qu'à cet instant, elle aurait juré le déranger.

Elle dut attendre l'arrivée d'un serveur pour enfin entendre une voix distincte de sa part lorsqu'il passa commande. Il parla si vite qu'elle ne reconnut quasiment aucun mot, cela l'inquiéta quant à la suite de leur rendez-vous et elle fut si déstabilisée qu'elle n'osa pas parler clairement, elle indiqua uniquement au serveur qu'elle allait prendre la même chose d'un simple mot. Et jusqu'à ce qu'il revienne avec leurs assiettes de pâtisseries, leurs tasses de café et leurs bols de fruits, ils restèrent bêtement l'un en face de l'autre sans prononcer un mot. Elle voulut essayer plusieurs fois mais de le voir juste devant elle en train de pianoter distraitement sur son portable, cela la bloqua. Cela relevait peut-être d'une mauvaise idée de vouloir le revoir.

Je veux rêver avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant