Chapitre 31

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Lauria rangea la carte postale de sa grand-mère dans le tiroir de l'armoire prévue à cet effet. Contrairement aux dernières fois où elle recevait des lettres sur des feuilles blanches éclatantes, aujourd'hui elle venait de découvrir une carte magnifique de félicitations pour sa future union maritale. Et à l'intérieur, un pavé la remerciant pour l'invitation ainsi que les plus sincères félicitations pour cet événement que sa grand-mère n'aurait pas cru voir arriver. Elle se satisfit de sa réponse positive et de son envie de prendre l'avion pour la première fois de sa vie pour venir assister à la cérémonie. Elle avait du mal à le croire, cela semblait surréaliste. Sa pauvre grand-mère de soixante-quinze ans allait subir plusieurs heures dans une carlingue à des kilomètres du sol juste pour assister à une cérémonie de quelques minutes... Rien que pour elle. Voilà une preuve d'amour qu'elle n'était pas prête d'oublier.

Elle aurait aimé recevoir la même chose de ses parents seulement sa boîte mail resta désespérément muette, tout comme son téléphone ou son très rare courrier venu de France. Si elle commençait réellement à renouer avec sa grande sœur, le reste de sa famille semblait ne vouloir plus rien savoir d'elle, comme si elle avait disparu de leurs vies. Elle ne comprenait pas bien comment des gens qui l'avaient vue grandir et l'avaient aimée pouvaient à ce point lui tourner le dos alors qu'elle expérimentait seulement la vie à sa façon. Elle ne saisissait pas la différence entre elle partie vivre avec l'homme qu'elle aimait et une de ses lointaines cousines qui vivait chez ses beaux-parents et était enceinte après seulement cinq mois de relation. Elle trouvait que dans son cas, les choses étaient plus convenables mais visiblement, pour la majorité de sa famille, partir à des milliers de kilomètres était plus condamnable qu'une vie déjà enchaînée à la maternité dans le village d'à côté. Certains scénarios perdaient toute leur logique avec les a priori de chacun.

Elle reçut un message de Bill qui coupa court à toute forme de réflexion. Dès que son nom apparaissait sur l'écran, elle devenait aussi attentive qu'un rapace prêt à plonger pour intervenir au besoin. Cette fois-ci, elle put se détendre et relâcher la tension qui crispait déjà ses muscles et se préparaient à la faire bondir hors de l'appartement. Bill l'invitait simplement à le rejoindre chez son frère à deux pas de là, pour une fois. Tous les soirs, soit Bill partait là-bas après le boulot, soit Tom passait et cela durait une bonne heure, parfois moins ou plus suivant les emplois du temps de chacun. Elle s'était habituée à cette "cohabitation" qui l'amusait plus qu'elle ne pouvait la déranger. En passant presque quotidienne une heure avec Tom, elle le qualifiait de plus en plus de frère et délaissait cette première étiquette de beau-frère un peu râleur qu'elle avait pu lui coller dès les premiers jours de sa vie avec Bill. En réalité, elle le découvrait toujours plus et tissait avec lui un lien qui jour après jour ressemblait à celui qu'elle ne pouvait plus entretenir avec sa sœur. Sans la remplacer, il prenait dans sa vie la place d'un frère qu'elle n'avait jamais eu et qui était là autant pour veiller sur Bill que sur elle. Lors de leurs échanges, elle avait plusieurs fois eu l'occasion de découvrir son caractère réel, celui caché sous les apparences bien lisses, et ce qui l'amusait, c'était de le comparer avec celui de Bill et de compter les ressemblances entre eux qui s'accumulaient à mesure que son jeu progressait. Sans parler de son affection pour lui qui ne cessait de croître.

Elle appréciait cette nouvelle vie bien plus sereine que celle de son arrivée en janvier. Elle était dans les clous, vivait tranquillement avec celui qui comptait le plus à ses yeux et apprenait à se lier à sa famille de jour en jour jusqu'à se sentir chez elle en leur compagnie. Les préparatifs du mariage occupaient majoritairement leurs conversations lorsqu'ils se retrouvaient et elle voyait bien la joie et l'excitation qui gagnait la mère et le beau-père de Bill à l'idée de vivre la cérémonie et de célébrer leur union dans leur jardin. Cela lui rappelait pourtant à chaque fois combien les siens reniaient cet acte et cette fête, son seul réconfort était de se rapprocher de cette belle-famille qu'elle allait épouser en même temps que son futur mari et qui l'acceptait à bras ouverts. Dès qu'elle franchissait la porte de leur maison en compagnie de Bill, elle se retrouvait assaillie de bienveillance et de gentillesse qui pansaient temporairement ses blessures familiales tout en les creusant davantage sous le film de douceur qu'elle affichait.

Je veux rêver avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant