Point Zéro

Zéro

J'observai d'un œil détaché les vrilles qui rampaient sous ma peau, elles n'étaient pas encore assez grosses pour percer l'épiderme et se répandre sur le reste de mon corps, mais cela ne tarderait gère. Après tout, nous n'étions dans l'hyperespace que depuis trois jours. Encore un et le murmure dans mon crâne se transformerait en une voix parfaitement audible. Un autre encore et les yeux qui me regarderaient dans le miroir ne m'appartiendraient plus. Quant au jour 6... Eh bien, personne n'était revenu pour le raconter. Sauf peut-être les créatures de la Chasse.

Quelques histoires circulaient chez les spatiaux : des histoires de vaisseaux fantômes, de membres d'équipage horriblement mutés, de cadavres dépecés suspendus aux cloisons par des crochets de boucher. Les rampants prétendaient qu'il s'agissait de légendes. Mais n'importe qui ayant effectué ne serait-ce qu'une simple transition dans l'hyperespace savait que ces histoires étaient tout ce qu'il y avait de plus réel. Après plus d'une cinquantaine de sauts, elles ne faisaient aucun doute pour moi.

Et bien sûr, il y avait la Chasse Sauvage et ses vaisseaux horriblement transformés par l'hyperespace. Nous avions tous eu l'occasion de voir les images des affrontements entre les valeureux (et très désespérés) défenseurs de l'humanité et les navires mutants. Leurs tentacules d'acier s'abattant sur les vaisseaux de leurs victimes avant de les attirer vers eux pour littéralement les dévorer. La Chasse était le croque-mitaine que les parents utilisaient pour faire peur aux enfants. Sauf que ce monstre-là n'avait rien d'imaginaire.

Les scientifiques décrivaient l'hyperespace comme un couloir dans le sous-espace, séparé de l'espace einsteinien par son propre continuum. Ces mêmes grosses têtes prétendaient (sans que personne n'ait jamais pu le démontrer) que ce même couloir de sous-espace existait sous une forme tubulaire et reliait différents points de notre propre univers. Cette thèse était unanimement soutenue par toute la communauté scientifique, qu'elle fasse partie des consortiums terriens, des stationneurs et même, une fois n'est pas coutume, de la Ligue.

Bien sûr, le premier spatial venu vous dira qu'il ne s'agit là que d'un tissu de conneries destiné à rassurer le pékin moyen. Nous savions tous ce qu'était l'hyperespace. Rien d'autre que l'antichambre de l'enfer. Une vaste maison hantée de la taille d'un univers avec Voyageur pour gardien. Cinq jours, cinq heures, cinq minutes et cinq secondes c'était le temps magique. Notre grigri contre le Démon. Passé ce délai, vous cessiez d'être vous pour devenir une part de lui. Et rien n'échappait à l'emprise du maître des lieux. Jusqu'au vaisseau qui, d'un simple assemblage mécanique, mutait pour devenir quelque chose d'autre, quelque chose de vivant. Pour m'en rendre compte, il me suffisait de poser l'oreille contre la paroi métallique de ma cabine. Je pouvais alors entendre le faible battement d'un cœur monstrueux en train de se développer dans les entrailles du Saint-Jean.

— Ça fout la trouille hein ?

La voix du gamin m'arracha un cri de frayeur.

— Espèce de trouduc ! m'écriai-je une fois certain de ne pas être en train de faire un infarctus. Tu veux me faire pisser dans mon froc ?

Mon Tyler Durden personnel, qui n'était désormais plus qu'un cadavre pourrissant, affichait un sourire rendu encore plus horrible par les vers blancs qui grouillaient entre ses chicots noirâtres.

— Vu que c'est toi qui m'as tué, tu ne t'attends pas à ce que je te plaigne ?

— Ouais, grognai-je. Et t'as décidé de passer ton temps à venir me hanter ?

Le rire de mon interlocuteur spectral tenait plus du croassement que de la manifestation de joie véritable. Je réprimai un frisson.

— Pour ça Zéro, tu devrais remercier cette saloperie que tu t'es collée sur la gorge. Quelle idée de te tranker autant pour un saut. Et tant que j'y suis, en tant que manifestation de ton esprit détraqué, je tiens à te signaler que c'est un vrai merdier là-dedans. Comment fais-tu pour ne pas avaler le canon du flingue que tu planques dans ta cantine ?