Le gouverneur

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La projection holographique de la station se teinta de rouge aux différents endroits frappés par les torpilles de la Ligue. Le secteur bleu était ouvert sur le vide des ponts sept à dix. Un millier de personnes vivaient là. Des hommes, des femmes et des enfants qui venaient d'être aspirés dans l'espace en moins d'une fraction de seconde.

— Verrouillez les ponts dépressurisés, nous devons absolument éviter une décompression en chaîne.

John, mon officier de liaison, répondit par l'affirmative avant de s'adresser au technicien de l'autre côté de la ligne. La salle d'urgence d'Old City était noyée sous un torrent d'information et d'appel au secours provenant de tous les secteurs de la station. Les hommes et de femmes assis à leur pupitre s'acharnaient à maintenir un semblant de cohésion au sein du chaos, sans grand succès.

Une dizaine de points jaunes apparurent sur l'hologramme projeté au centre de la pièce. Ils s'avançaient en formation en direction des brèches provoquées par les torpilles. Des barges de débarquement.

— Quinze barges de débarquement en approche, me confirma un jeune garçon assis face à la console de contrôle du LIDAR*.

Chaque barge pouvait contenir jusqu'à dix sections d'assauts, elles-mêmes composées de dix soldats chacune. Multiplié par quinze, cela représentait mille cinq cents combattants aguerris contre notre maigre contingent de sécurité. Ça va être un massacre.

— Envoyer nos agents sécurisés à Vert sept-un, ordonnai-je à l'officier de liaison.

L'homme en tenue militaire me jeta un regard contrit.

— Quoi ?

— DragonSec vient de dénoncer son contrat avec la station. Leurs hommes sont rappelés à bord du Bolla.

Les rats quittent le navire.

— Et le PeacemakerCorp ?

— Le Siegfried vient juste d'appareiller.

— Bande de salopards, toujours là pour empocher nos crédits, mais ils se tirent à la moindre anicroche.

John baissa la tête, lui-même avait été mandaté par DragonSec. Sûrement regrettait-il de ne pas être à bord du Bolla, avec ses camarades, en ce moment. Pourtant, lorsque les rapports d'alerte avaient commencé à affluer, il avait été le premier à prendre son poste. Cet homme était le meilleur bras droit qu'il m'ait été donné d'avoir. Et il allait crever ici comme nous tous.

Les images des caméras de sécurité s'affichaient sur les moniteurs à ma droite. Les soldats de la Ligue dans leurs armures de combat grises chromée venaient d'effectuer une percée au niveau du pont onze dans le secteur bleu et se déversaient comme une lame de fond à l'intérieur d'Old City. Quelques civiles tentèrent bien d'organiser une résistance, mais leurs armes, de petit calibre, étaient incapables de percer le blindage des guerriers ennemis. Les Ligiens répondirent par un tir de barrage qui tailla, littéralement, leurs adversaires en pièce.

Sainte-Marie !

Le déploiement d'une telle force au sol, soutenue par deux croiseurs et un cuirassé ne pouvait avoir qu'un seul objectif. L'oblitération pure et simple de la station et de tous ses habitants. La Ligue venait ici pour tuer et détruire tout ce que nous avions bâtît.

Cinq nouvelles torpilles frappèrent la station au niveau du secteur rouge. Quelques secondes plus tard, une quinzaine de barges apparurent pour s'engouffrer dans la brèche. Mille cinq cents hommes de plus.

— Mon dieu, souffla Janette, une analyste que je connaissais depuis plus de vingt ans.

— Que se passe-t-il ?

J'avais du mal à imaginer comment les choses pourraient être pires. Le regard que me lança mon amie m'emplit d'un sourd sentiment d'angoisse.

— Les vérins d'accrochage de l'ancien tore viennent de céder, répondit-elle d'une voix blanche.

Sans les vérins qui maintenaient sa superstructure, le tore allait se désolidariser du reste de la station. L'effet gravifique provoquer par la rotation du reste de la station l'attirerait ensuite comme un aimant. Une collision entre les deux tores provoquerait d'inimaginables dégâts, peut-être même la destruction d'Old City. Je fermais une seconde les yeux et laissais les larmes couler sans chercher à les retenir.

Jamais je n'aurais cru vivre pour voir la fin de la station...mon foyer. Lorsque je m'étais lancé en politique, je n'étais qu'un jeune coq arrogant avec des rêves de gloire plein la tête. Les années avaient fait leur œuvre en assagissant le gamin trop pressé. Lorsque j'avais fini par décrocher le poste tant convoité de gouverneur de station, j'avais pensé enfin tenir mon rêve entre mes mains. Bien sûr, la réalité s'était chargée de me ramener les pieds sur terre à grand coups de pompes dans le cul. Traiter avec les gangs, survivre aux machinations de mes adversaires politiques et composer avec les attentes de toute une population m'avait appris à naviguer dans les eaux troubles de la politique. Pourtant, lorsque je regardai en arrière, je refusais de rougir de mon parcours. J'avais tout donné à cette vieille station. Je lui avais sacrifié mon mariage et ma vie de famille, il n'était pas question que je la laisse tomber aujourd'hui.

— Utiliser les systèmes de propulsion orbitaux pour tenter de repousser le plus gros de la structure.

La manœuvre était risquée. Elle modifierait dangereusement l'axe orbital d'Old City et provoquerait à coup sûr d'importants dégâts. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, songeai-je en serrant le poing.

Mon regard parcourait les différents écrans de surveillance lorsque quelque chose attira mon attention.

— Stop, criai-je au technicien assis devant la poste de contrôle.

— Réaffichez-moi la caméra Rouge cent quatre-vingt ! ordonnai-je.

L'image qui apparut devant moi m'arracha un franc sourire. Ce n'est pas croyable ! La ligue était en train de réussir, en une attaque, ce que j'avais tenté d'accomplir durant mes dix années de mandat comme gouverneur.

— Zoomez !

L'image s'agrandit jusqu'à ce que je puisse distinguer les visages des hommes et des femmes qui se dressaient, avec un certain succès, face au contingent militaire dans le secteur rouge. Les tatouages ne laissaient aucun doute. Mara Salvatrucha, Blood, Fraternité aryenne ainsi que tous les autres gangs de la station semblaient avoir mis leurs différends de côté pour se dresser contre l'ennemi commun. Et, contrairement à celles des civiles, leurs armes provoquaient de gros dégâts au sein des forces de la Ligue.

Voilà ce qui se passe quand on s'en prend à Old City, elle mord.

*LIDAR : système de télédétection par laser.     

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant