La survivante

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Je fus tirée de mon sommeil sans rêve par une onde de souffrance aiguë au bas ventre. Je me mordis la lèvre à sang pour ne pas hurler de douleur. La moitié de nos hommes avait déjà été emmenée ou tuée lorsque nous avions fini par comprendre que les racleurs bénéficiaient d'une extraordinaire acuité auditive. Le moindre son plus haut qu'une simple expiration suffisait à rameuter toute la horde. Rassemblant mes maigres forces, je m'obligeais à me lever.

— Où toi aller Maria ? me souffla Josh en me saisissant par la cheville.

— Mal au ventre, répondis-je sur le même ton.

Le jeune homme me fit signe qu'il comprenait tout en relâchant son étreinte. Je n'eus que le temps d'atteindre la sortie de la salle avant de répandre le contenu de mon estomac sur le sol. Une sensation humide m'apprit que je venais également de pisser dans mon pantalon. Je m'accroupis et entrepris de récupérer les morceaux de viande les moins digérés qui marinaient dans la flaque de vomi. Je ne pouvais pas me permettre de gâcher la moindre parcelle de protéines.

Des trois cents survivants d'origine, nous n'étions plus que trente. Kay et moi étions les deux seuls rescapés du corps expéditionnaire de la Terra Incognita. Pas une seule minute ne passait, sans que je ne regrette le temps où nous n'étions rien d'autre que AZ84 et AZ85 et où notre seule préoccupation se limitait à finir notre temps afin de rembourser nos dettes à la corporation. Aujourd'hui, nous étions Kay et Maria et nous survivions planqués dans le cœur putride des égouts. Nous ne baisions plus depuis longtemps. Il nous aurait fallu bien plus d'énergie que nous n'en avions encore.

Notre groupe s'était nourri de rat aussi longtemps que nous avions pu en trouver, puis lorsque la vermine était venue à manquer... nous nous étions rabattu sur l'unique source de subsistance encore disponible : nos propres cadavres. L'eau était également un problème depuis que nous avions dû abandonner le purificateur lors de la dernière attaque de mutants. Depuis, nous nous contentions de l'eau croupie s'écoulant en ruisselet à même le sol.

La plupart d'entre nous souffraient de dysenterie ou de scorbut quand ce n'était pas des deux à la fois. Deux de mes propres dents s'étaient déjà déchaussées et trois autres menaçaient de suivre leur exemple. Il ne nous avait pas fallu bien longtemps pour comprendre que l'obstruction de la bouche d'accès à la zone sud, par 12 et ses hommes, avait signé le début de la fin pour nous tous. Aucune des trois expéditions de ravitaillement qui avaient suivi l'incident ne revint. 12 avait mené lui-même la dernière d'entre elles. Et comme si cela ne suffisait pas, les mutants avaient commencé à effectuer des incursions de plus en plus profondes dans les égouts. Leur première attaque dans la salle d'épuration nous avait coûté la moitié de nos effectifs. Les plus chanceux étaient morts en se battant, les autres avaient été traînés en hurlant vers la surface.

— Ça va ? me demanda Kay que je n'avais pas entendu approcher.

— Nikel, soufflai-je en glissant un morceau de viande au goût acide dans ma bouche. Pourquoi ? Je n'en ai pas l'air ?

Mon ancien chef d'équipe et amant me lança un sourire sans joie. Son visage, amaigri, couvert d'hématomes et de lésions purulentes, n'était plus qu'un masque de douleur. De nous tous, s'était probablement lui qui portait les stigmates les plus profonds de nos terribles conditions de vie. Il m'arrivait souvent, au cœur des ténèbres sous-terrain, de l'entendre gémir et sangloter. Peut-être était-il plus durement affecté que les autres, car il avait fini par croire à ses propres discours d'encouragements. Ne jamais tomber dans le piège de ses propres mensonges.

— Tu ne devrais pas te promener seule, me dit-il en glissant un bras autour de ma taille.

Avec notre régime actuel, je n'avais plus que la peau sur les os. Pourtant, je l'entendis très clairement grogner quand il voulut me relever. Nous devions donner l'air d'un couple de monstres de foire lorsque nous retournâmes, bras dessus bras dessous, en boitant vers le reste du groupe.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant