Le surnuméraire

69 7 8
                                    


Tanos était une planète agonisante au cœur d'un système solaire moribond. Son étoile, une G2, jetait sur nous sa lumière rouge, typique des étoiles en phase terminale. Encore quelques milliers d'années (un clin d'œil à l'échelle galactique) et l'astre, après avoir consumé ses dernières réserves, se mettrait à grossir. Il dévorerait voracement le moindre amas de particules du système solaire avant de s'effondrer sur lui-même et disparaître à jamais.

— Mais toi et moi, nous serons trop morts pour le voir, glissai-je à mon voisin.

Son absence de réaction m'ennuya quelque peu, je lui décochai un coup de pied.

— T'es pas un marrant, mon pote.

Une sonnerie stridente m'arracha une grimace, je me dirigeai en boitant vers mon sac. Ce fils de pute ne m'avait pas loupé, qui l'aurait cru assez retors pour planquer une lame dans sa manche ? Un vrai tour de magie, je vous le dis. Je détachai les lanières du sac et fouillai jusqu'à trouver un com ridiculement petit pour faire un vacarme pareil.

— Alors Zéro ? me demanda la voix éraillée du vieux Storm.

— Je te manquais déjà ? lui susurrai-je dans ma meilleure imitation d'opératrice de ligne rose.

— T'es vraiment trop con.

Je regrettai que l'appareil ne fût pas muni d'une caméra afin d'immortaliser mon doigt d'honneur. Je retournai m'asseoir auprès de mon camarade.

— Hey ! Le pote Storm voudrait savoir comment tu te portes, lui dis-je en lui tapotant la joue.

Les yeux vides du cadavre semblaient plongés dans la contemplation du ciel couleur d'ecchymose. Le p'tit était un gamin génial. Toujours à voir la vie du bon côté. Toujours le premier à faire des blagues et le dernier à chercher à vous enfumer. Le voir finir de cette manière me plombait vraiment le moral. Pourtant, le boulot, c'était le boulot. Après que la station ait refusé de racheter son contrat, le gosse avait bien dû se douter que cela se terminerait de cette manière. Ce qui expliquait sans aucun doute la présence du couteau ainsi que la tache de sang qui s'épanouissait sur mon t-shirt. Malin le gamin, un peu plus à droite, et c'est moi qui serais en train de pourrir par terre pendant qu'il répond à l'appel de Storm.

— On ne peut pas dire que ce soit la grande forme pour lui, dis-je dans le micro du com.

— Ouais, c'est dommage. Je l'aimais bien.

— T'aurais peut-être dû y penser quand t'as acheté le carbu pour notre prochain saut.

— Et rogner sur ma prime...je ne l'aimais pas à ce point-là.

Dans notre métier, la vie des surnuméraires était souvent courte et se terminait de manière violente. J'en savais quelque chose. Chacun de mes contrats pouvait être le dernier. Il suffisait d'une panne ou d'une erreur dans le calcul de la masse de carburant embarquée pour que je me retrouve avec un aller simple pour le sas de décompression le plus proche. Avec, en bout de course, le vide glacial de l'espace pour dernière demeure. Ou je pouvais me retrouver les bras en croix sur une planète pourrissante comme celle-ci. Quel destin de chiotte. Je regrettais parfois mon ancienne vie sur Old City... mais jamais très longtemps.

— Bon si t'a fini de rêver, tu as encore du travail, ronchonna mon interlocuteur.

—Je pisse le sang ! Envoie-moi plutôt le doc et son jus du bonheur pour me rafistoler.

— Tu te crois en croisière de luxe ? s'emporta le pacha. Si tu sais parler, tu sais travailler. Alors bouge ton cul de fainéant et ramène la cargaison.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant