Demidov

10 2 6
                                    

Mon nouveau bureau, situé dans les locaux du Kontrrazvedotdel, était trois fois plus grand que celui que j'avais partagé avec Lejov durant mes cinq dernières années de service au département secret. Pas que je m'en plaignis, mais le changement demandait un certain temps d'adaptation, surtout pour quelqu'un qui avait connu la stricte politique d'économie d'espace pratiqué par les stations spatiales.

Mes trois premières semaines au contre-espionnage avaient été principalement occupées par une remise à niveau des mesures opérationnelles de mon nouveau service. Durant tout ce temps, Lemeline s'était montré un mentor patient, mais exigeant qui s'adressait à moi sans jamais se départir de l'austérité qu'il affichait en toute circonstance. Quiconque travaillait avec lui en espérant une pluie de compliment ne tardait pas à sévèrement déchanter. Le colonel était un homme dur et froid qui pratiquait son travail avec le même professionnalisme qu'il exigeait des autres. En cela nous partagions un point commun.

Mon infosys m'informa que j'avais un appel en attente sur ma ligne. Je subvocalisai l'ordre de décrocher.

— Colonel Lemeline, saluai-je alors que l'image virtuelle de mon interlocuteur s'affichait sur mon ATH.

— Commissaire Demidov, me répondit l'officier qui continuait à me gratifier de mon ancien grade.

— C'est lieutenant Demidov, lui fis-je remarquer en souriant. La petite plaisanterie s'était installée entre nous et aucun de nous n'avait encore eu le cœur d'y mettre fin.

— Rejoignez-moi à la salle de conférence, m'ordonna-t-il en dissimulant habilement le mince sourire qui étirait ses lèvres.

— À vos ordres.

Le colonel coupa la communication, me laissant seul à l'intérieur de mon crâne. Un trop grand nombre de rapports sur UG85/2 étaient passés par mon bureau depuis ma nouvelle affectation pour que je ne comprenne pas sur quel sujet allait porter la réunion. Si dans les premiers mois du blocus, les colons avaient littéralement inondé les ondes d'appel au secours et de supplication pour qu'on leur vienne en aide, il semblait que depuis une semaine, plus aucune communication ne nous parvienne de la colonie assiégée. L'option la plus probable était que la Chasse avait fini par venir à bout des dernières poches de résistances. La possibilité que des survivants soient encore sur la planète, mais privé d'accès aux systèmes de communications n'était pas non plus totalement à exclure.

Je verrouillais ma station de travail, glissai deux feuilles de papier dans l'incinérateur en forme de poubelle posé à ma gauche et quittai mon bureau sans oublier d'activer le système de sécurité derrière moi (le contre-espionnage ne badinait pas avec la sécurité).

L'ascenseur me mena jusqu'au quatrième niveau. J'en sortis et croisai plusieurs employés du service occupés à remplir leur tâche quotidienne. Aucun regain d'activité ne témoignait de grosses opérations en cours. J'arrivai à la porte métallique de la salle de réunion et entrai le code d'ouverture sur le clavier numérique. J'hésitai un moment lorsque je m'aperçus que Lemeline n'était pas seul dans la pièce. Quatre hommes de large carrure étaient assis autour de la table. Chacun d'eux portait la barbe et, en dehors du plus ancien totalement chauve, des cheveux négligés. Leur tenue était celle de civile, mais il suffisait d'un seul coup d'œil à leur maintien raide et à leur visage sérieux pour comprendre à qui on avait affaire. Des spetnaz, les chiens de guerre du Partie et sa réponse aux Traqueurs de la Ligue. Les quatre opérateurs des forces spéciales ne me quittèrent pas des yeux alors que je m'installais sur l'un des sièges vides.

— Merci de nous avoir rejoint lieutenant Demidov, m'accueillit mon supérieur comme si la convocation ne venait pas de lui. Laissez-moi vous présenter le capitaine Sabantsev, les sous-lieutenants Repine et Khabalov ainsi que le sergent Ioudine.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant