Daishi

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Une série d'alarmes retentirent dans les coursives du Yōkai signalant son départ imminent. Suivi de Samuel, je me précipitai en direction de la passerelle. Contrairement à Ty, My et Trevor, je ne tenais pas à mourir par surprise, harnaché à une couchette de sécurité dans l'une des minuscules cabines de l'aviso. Je subvocalisai l'envoi des codes d'activation du navire dans le système. Un long sifflement nous perfora presque les tympans.

— Que se passe-t-il ? me hurla l'adolescent toujours sur mes talons.

— Le vaisseau vient d'arracher ses câbles d'amarrage. Le capitaine va forcer le passage.

Enfin, nous pénétrâmes dans l'étroite passerelle. Je désignai deux fauteuils anti-g et m'installai sur celui de droite. Assis sur son propre siège, le capitaine Wong donnait ses ordres d'une voix froide et parfaitement contrôlée.

— Désarrimez les ombilicaux.

— Désarrimé, lui confirma une jeune femme en tenue d'enseigne du nom d'Akasha.

— Poussée vectorielle dix pour cent !

Le timonier répéta la directive en entrant une série de commande sur la console de pilotage. Le vaisseau fut soudain parcouru de vibrations alors que ses puissants systèmes de propulsions se mettaient à projeter des vagues de plasma incandescent. Il suffisait de se concentrer un peu pour percevoir le mouvement latéral du Yōkai qui se désengageait de son berceau d'arrimage. Le compensateur inertiel était généralement désactivé pour la manœuvre afin de permettre au timonier de ressentir chaque variation de mouvement de son appareil.

Le vaisseau s'engagea lentement dans l'étroit sas intermédiaire.

— Mr Fukamashi, demandez l'ouverture des portes, ordonna le capitaine à l'officier Com.

— Aucune réponse de la tour, l'informa ce dernier après quelques essais infructueux.

— Pouvez-vous contourner le système ?

— Pas en si peu de temps, répondit l'officier en secouant la tête désolée.

Le capitaine me lança un regard interrogatif. Tu sais ce qu'il te reste à faire, me glissa la voix de mon grand-père. Mais auras-tu le cran de prendre cette décision ? Et de vivre avec les conséquences de ton choix ?

— Défoncez la porte ! ordonnai-je d'une voix blanche.

— Mais les docks sont bondés de civiles, bégayait l'enseigne Akasha en me lançant un regard empli d'horreur.

— Vous avez vos ordres capitaine, poursuivis-je sans lui prêter la moindre attention.

Le capitaine secoua deux fois la tête, affirmativement, avant de se tourner vers un homme d'une quarantaine d'année portant l'insigne d'officier artilleur.

— Armez le tube cinq, avec une mark-2.

Les torpilles mark-2 étaient des armes à faible pénétration. Notre but était d'éventer la porte nous séparant de l'espace, pas de nous faire sauter dans l'aventure.

— Tube cinq armé, nous informa l'artilleur une minute plus tard.

— Feu !

Sur l'écran tactique, une traînée blanche apparut une seconde avant que l'énorme battant blindé se désintègre en une pluie de métal tordu. L'aspiration provoquée par la décompression entraîna immédiatement tout ce qui n'était pas accroché convenablement vers le vide extérieur. Les cadavres gelés de centaines de personnes filèrent autour du vaisseau en direction du néant de l'espace. Assis dans son siège, j'entendais les sanglots étouffés de la jeune enseigne. Il régnait sur la passerelle un silence de mort. Peu importe que cela leur ait sauvé la vie, ils n'oublieront jamais que c'est moi qui ai donné l'ordre, songeai-je amer, il était peu probable que j'y arrive moi-même un jour.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant