Le fils prodigue

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La prostituée se retourna en gémissant dans son sommeil. Ce simple bruit, amplifié un million de fois par ma gueule de bois, me donna envie de l'envoyer au sol d'un coup de pied. En fait, je l'aurais sûrement fait si je n'avais pas été aussi défoncé. En me concentrant, je pouvais encore sentir l'effet du blues dans mon organisme. Mon Symb finissait d'égrener les dernières notes de la MusiDrug. Les vibrations subsoniques entrèrent en résonnance avec les molécules libérées par la drogue dans mon mésencéphale, stimulant ainsi les centres du plaisir situés dans mon cerveau moyen. Je sentis le moment exact où je me déchargeai au creux des draps. Qui a besoin d'une pute quand il a du blues ? Mais malgré tous ses avantages, aucune drogue ne remplacerait jamais le plaisir et la douceur de la peau d'une femme se frottant contre la sienne.

— Daishi, tu es réveillé ? me glissa Crystal... ou peut-être est-ce Ambre.

Rien à foutre !

Je lui répondis d'un simple grognement. La somme que je lui avait transférée sur son compte me dispensait amplement de toutes attentions supplémentaires. La nuit avait été bonne. L'alcool et le blues nous avaient permis d'atteindre des plaisirs inaccessibles pour le simple commun des mortels. Pourquoi vouloir tout gâcher avec des paroles ? Crystal/Ambre se glissa contre moi et commença à me caresser le torse du bout de ses ongles parfaitement manucurés.

— Merde, pourquoi fais-tu ça ? lui dis-je en rejetant violemment sa main.

— Espèce de petit con, me cracha Jade.

Voilà c'était Jade !

La chambre à 300 creds de l'heure me parut soudainement sordide. Une envie de fuite me saisit avec violence alors que mes nanomédics DocHost expurgeaient les dernières traces de drogue de mon système. À côté de moi, Crystal/Ambre/Jade rassemblait ses affaires précipitamment.

— Je suis une professionnelle moi ! On ne me traite pas comme ça ! me lança-t-elle, son visage parfait, made in chirurgie, plissé dans une grimace de colère qui n'avait rien de séduisant.

— Écoute Jade, je suis désolé. C'est simplement... je n'aime pas que l'on me touche au réveil.

— Va te faire foutre trouduc ! cria-t-elle en se dirigeant vers la porte, ses chaussures Louboutin à semelle rouge dans une main et sa robe griffée d'un grand couturier dans l'autre.

— Jade... lui lançai-je sans grande conviction.

— C'est Crystal, connard ! conclut-elle en claquant la porte de la chambre derrière elle.

Et merde ! Voilà une journée qui s'annonçait mal. Pour ne rien arranger, le signal d'appel de mon infosys se mit à faire vibrer les os de mon oreille interne. Je subvocalisai l'ordre adéquat et un voile vert tomba devant mes yeux. L'image de mon correspondant s'afficha sur la membrane EyesFriend greffée sur ma rétine. Le visage que je vis n'était qu'une reconstitution virtuelle crée par mon infosys et le spectacle était loin d'avoir le charme d'une Crystal nue. L'homme était puissamment bâti, même selon les standards planétaires. Il affichait un sourire froid qui s'étirait sur une rangée de dents jaunâtres imparfaitement alignées.

— Qu'est-ce que tu veux Sean ?

Une expression de lassitude fort peu professionnelle passa fugitivement sur les traits de mon garde du corps. Peut-être était-ce dû à la manière dont je lui avais faussé compagnie la veille. Je devais bien reconnaître que provoquer une bagarre dans ce bar n'était peut-être pas mon idée la plus brillante.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant