L'appartement était décoré avec goût. Les meubles, bien que de piètre facture, étaient entretenus avec soins et la fine couche de verni appliqué sur le similibois leur donnait une patine à la fois élégante et rustique. Une collection de figurines vintages trônait bien en valeur dans une vitrine à côté du buffet. Accrochées aux cloisons des photos de famille ajoutaient une touche de chaleur à l'ensemble du tableau. N'importe quel visiteur n'aurait pu que remarquer le soin et l'investissement personnel apportés par le propriétaire à l'habitation.
Bien sûr, tout ce décor avait été savamment étudié. Mon intérêt pour les figurines vintages n'était pas plus réel que les personnes dans les cadres ne faisaient partie de ma famille. Les deux seules choses vraies dans l'appartement étaient l'ordinateur posé sur le bureau ainsi que la petite mallette en plastique dur noir sur le lit.
— Vos ordres sont clairs, dit la voix me ramenant soudain à la réalité. La cible ne doit jamais pouvoir transmettre les informations en sa possession.
— Je comprends monsieur, répondis-je bien que le système de brouillage visuel dissimulait les moindres détails concernant l'identité de mon interlocuteur. Dans la probabilité, extrêmement mince, où quelqu'un réussisse à déjouer les systèmes antisurveillance habillement dissimulés dans l'appartement, ainsi qu'à pirater l'ordinateur spécialement durci pour résister aux intrusions extérieures, l'espion n'aurait eu accès qu'à une série de données cryptées à un si haut niveau qu'elles en seraient totalement inexploitables. Quant à moi, je ne savais rien d'autre de mon agent de liaison que les instructions qu'il ou elle me transmettait. Le cloisonnement de l'information était un élément indispensable de notre profession.
— Vous avez vos ordres, conclut la voix déformée informatiquement avant que la communication ne soit brusquement coupée.
Je refermai l'ordinateur portable et le glissait dans une enveloppe d'incinération que je déposais dans la corbeille sur ma droite. Si quelqu'un devait foullier la chambre après mon départ, il ne trouverait rien d'autre que du plastique et des composants électroniques fondus sans la moindre valeur. Je me dirigeais ensuite jusqu'au lit puis introduisis le code sur le petit clavier digital incrusté dans la partie latérale de la valisette. Un faible déclic m'informa du déverrouillage. J'évitais de songer à la micro charge programmée pour se déclencher en cas d'erreur. Je soulevai le couvercle révélant le pistolet, le chargeur et le silencieux reposant dans leur logement en mousse.
Les armes étaient une chose courante sur une station comme Old City. Mais l'homme que j'étais censé être aurait bien du mal à justifier la possession d'un pistolet fait sur mesure, équipé d'un silencieux de qualité militaire et tirant des munitions perforantes. Même une police aussi permissive et corrompue que celle de la station ne laisserait un civil se balader avec un équipement de tueur professionnel. Heureusement pour moi, le faux ventre en silicone que je portais depuis plusieurs mois contenait une poche latérale prévue spécialement pour ce genre de transport.
Une fois équipé et habillé, je me pris la direction de la sortie d'un pas tranquille. Sur le pas de la porte, je me retournai et eu l'étrange surprise de constater que cet appartement, né de l'esprit d'un petit fonctionnaire chargé de la mise en place de ma couverture, allait réellement me manquer. Peut-être avions nous été trop bien entraînés. Vivez dans la peau d'un autre assez longtemps et il vous arrive parfois de ne plus arriver à faire la différence entre la sienne et la vôtre. Je fis quelque pas en arrière, me saisit de la petite figurine de Boba Fett, pièce maîtresse de la collection, et la fourrait dans ma poche avant d'abonner l'appartement pour toujours.
Alors que le taxi m'emmenait vers ma destination, je me plongeais dans une sorte de transe contemplative. Je n'avais jamais aimé tuer — enfin à l'exception d'une fois — j'avais juste la chance, ou la malchance, d'être prodigieusement doué pour ça et d'avoir attiré l'attention des personnes qui avaient vu toutes les opportunités qu'offrait ce don. On m'avait alors formé, entraîné. Et aujourd'hui, dans moins de quelques heures, tous ces investissements allaient déboucher sur la mort de quelqu'un. Je fouillai en moi à la recherche de remord éventuel et fut satisfait de n'en trouver aucun. Ce genre de sentiment finissait un jour ou l'autre par vous coûter la vie et je tenais trop à la mienne.
—Vous êtes arrivé à destination, me dit le chauffeur en stoppant son véhicule.
—Merci, me contentai-je de répondre avant de régler la note et de quitter le véhicule.
Je pris une seconde pour respirer profondément en tapotant discrètement ma fausse bedaine, puis me mis en route vers ma cible.
VOUS LISEZ
Point Zéro
Science FictionL'Homme maîtrise aujourd'hui le voyage spatial et s'est élancé à la conquête des étoiles. Pourtant de nombreux dangers se dissimulent au cœur du vide spatial. Et parmi ceux-ci le plus redoutable est peut-être l'humanité elle-même. Zéro, spatial pou...