Daishi

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Mes yeux sautaient d'une série de chiffres à l'autre sans avoir la moindre foutue idée de ce que j'étais en train de regarder. Les données financières que l'on m'avait fournies sur Kenkou Pharmaceutique lors de mon arrivée comprenaient principalement des graphiques, trop souvent dans le rouge, et des chiffres débutant par un nombre déprimant de moins. Dire que la société était un gouffre financier relevait du doux euphémisme. Nos charges dépassaient, et de loin, nos produits et le bilan prévisionnel de l'année en cours ne laissait entrevoir aucune amélioration à venir. Et voilà qu'un obscur employé, un gros nerd du nom de Bob, me présentait le dernier produit que Kenkou s'apprêtait à lancer sur le marché et qui, selon lui, allait sauver l'entreprise de la banqueroute.

— Est-ce que vous pouvez me dire ce que je suis en train de regarder ? demandai-je sans chercher à cacher mon exaspération.

Cela faisait deux semaines que j'avais repris les rênes de Kenkou Pharmaceutique et je sentais déjà que je ne gagnerais pas le concours du patron le plus populaire. Trop de contre-ordres et de remise en question des directives données par les anciens dirigeants devaient m'avoir valu une réputation de « chieur de premier ordre ». Qu'importe ! Je n'étais pas là pour me faire des amis, mais pour prouver au vieux que j'étais capable d'être un atout pour le directoire et accessoirement un prétendant sérieux au titre de « Shen » après sa mort. Quelle importance si j'écrasais quelques personnes au passage. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. On reconnaît la grandeur d'un homme aux nombres de ses ennemis, aimait répéter mon grand-père. J'avais tendance à être d'accord avec lui sur ce point.

— Il s'agit du dossier de validation que notre service marketing veut présenter à la commission de l'ATSM.

L'Agence Terrienne de Sécurité Médicale était l'organisme de contrôle mis en place par la Terre afin de garantir la sécurité des utilisateurs de produits médicaux. Cela allait des produits curatifs aux matériels destinés aux améliorations corporelles. Toute avancée médicale devait obligatoirement passer par eux afin d'obtenir le précieux sésame de sécurité nécessaire à sa mise en circulation. Bien sûr, l'ATSM étant financée par les consortiums eux-mêmes, son indépendance était toute relative.

— Pas assez sexy, dis-je d'une voix dure.

— Je vous demande pardon ?

Pas étonnant que Kenkou soit dans une pareille merde avec des abrutis de cette espèce, songeai-je, amer. Après un coup d'œil dépriment à notre caisse noire, il ne faisait aucun doute que nous ne disposions pas des fonds nécessaires pour acheter les votes indispensables à la mise sur le marché de notre nouveau produit. Il me faudrait donc passer par la voie légale et, pour ce faire, réussir à vendre l'idée aux membres de la commission. Pour cela, mon premier travail consistait à le rendre attrayant. Il me fallait d'abord jeter au bac l'espèce de bouillie de chiffres et de résultats d'expériences que le service marketing de la société, via ce bon gros Bob, m'avait fourni.

— Commençons par ce nom. « KRU-783 » ce n'est pas vraiment le nom idéal pour donner envie au public de se précipiter dans les magasins corporels pour dépenser leurs crédits.

— Il s'agit du nom de la molécule de synthèse à partir de laquelle nous avons travaillé.

— C'est très bien, mais on s'en fout. Si je lis correctement le rapport transmis par votre service, notre drogue agit sur les transmissions synaptiques entre les neurones. Son effet principal étant de permettre une amélioration de 2.3X du temps de réaction. Une sorte de réflexe câblé neurochimique.

— Il s'agit effectivement du champ d'action de la molécule KRU-783, acquiesça Bob.

— NeuroFlex, dis-je comme si l'idée m'était apparue tout à coup alors que cela faisait deux jours que je planchait dessus.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant