Товарищ

19 2 6
                                    

La salle d'interrogatoire n'était qu'un réduit avec pour seuls meubles deux chaises et une table, toutes trois rivetées au sol par mesure de sécurité. L'austérité même de la pièce avait été étudiée pour obtenir un impact psychologique maximum. Une leçon qu'Aleksandr Alekseïeva était en train d'apprendre à ses dépens. La chaîne qui reliait ses menottes à l'anneau soudé dans le sol, l'empêchant de prendre une position plus confortable, contribuait également à le garder dans un état d'esprit approprié à notre petit entretien.

— Qu'est-ce que tu notes ?

J'ignorai volontairement sa question. Une seule personne dans cette pièce devait mener la conversation et ce n'était pas lui. Aleksandr se recroquevilla un peu plus sur sa chaise. Je noircissais avec application les lignes du calepin que j'avais posé sur la table. Trois minutes plus tard, je finis par poser mon crayon et levai les yeux vers le prisonnier.

— Camarade Aleksandr Alekseïeva, sais-tu pourquoi tu es ici ? lui demandai-je d'une voix amicale.

— Non...non, bégaya-t-il. Je rentrais du travail lorsque tes ho...lorsque des officiers GPU sont venus m'arrêter. Devant toute ma famille !

— Garde ton calme Aleksandr, lui intimai-je.

— Désolé camarade commissaire Demidov.

Je lui laissai une seconde pour qu'il puisse reprendre le contrôle de lui-même. Être emmené au poste du département secret de la police d'Etat par trois opérateurs en tenue de combat en aurait brisé de plus forts que lui. Je tirai une chemise en plastique de la sacoche noire posée contre le pied de la table.

— Que peux-tu me dire là-dessus ? lui demandai-je en étalant une série de photographies haute-définition devant lui.

Son visage blêmit au fur et à mesure que ses yeux se posaient sur les différents clichés. Aleksandr Alekseïeva n'était qu'un ouvrier soudeur, un mari et un père de famille de cinq enfants sans histoire. En temps normal je me serais contenté d'émettre l'avis d'exécution sitôt les photos sur mon bureau, mais ce cher Aleksandr m'offrait enfin l'opportunité que j'espérais depuis fort longtemps.

— La pédérastie est un crime grave camarade, lui dis-je en appuyant chaque mot.

J'avançai la photo le montrant nu et allongé à côté d'un jeune garçon d'une vingtaine d'années. Bien sûr j'aurais pu lui dire que son amant était l'un de nos agents ainsi que l'auteur des clichés. Mais à quoi bon ? C'était brisé et à ma botte qu'il m'était le plus utile.

— Ces preuves sont largement suffisantes pour justifier ton exécution et le transfert de ta famille dans l'un des camps de travail de la station.

— Pas ça ! s'écria Aleksandr sans que je sache s'il parlait de sa condamnation ou de celle de sa famille. Cela importait peu, il était exactement là où je le voulais.

— Bien, poursuivis-je en tirant une nouvelle pochette de ma sacoche.

Les épreuves suivantes étaient une série de portraits d'hommes et de femmes entre trente et cinquante ans.

— Est-ce que ces visages te sont familiers ?

— Tu sais que oui, me répondit-il en saisissant la photo d'un homme aux longs cheveux sombres et au visage fermé. Celui-là c'est Bogdan Legorov...

Je l'interrompis d'un geste de la main, nous n'ignorions rien de l'identité des personnes sur les photos.

— Le département du contre-espionnage soupçonne ces gens de faire partie d'un réseau subversif. Nous voulons que tu te lies avec eux et que tu nous fournisses des rapports réguliers sur leurs activités.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant