AZ84

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Je ne pus retenir un frisson de dégoût lorsque je sentis le foutre du sergent-chef se répandre en moi. Heureusement, il prit ma réaction pour un signe de plaisir. Je me gardai bien de le détromper.

— Je savais que tu finirais par aimer, me dit-il avec son éternel sourire adipeux étalé sur le visage.

Cet enfoiré me tenait par les couilles (du moins si j'en avais eu) et il le savait. Je me retins de justesse de lui faire remarquer qu'un gros lard à boule de billard comme lui n'était pas exactement le cocktail rêvé pour faire rêver les filles. Mais je ne tenais pas à m'attirer davantage d'ennuis. Pas la peine de lui fournir une excuse pour me refiler à un autre porc dans son genre. Je fus tirée de ma réflexion par la sonnerie du réveil.

— C'est l'heure d'aller au turbin ma belle, fous-moi le camp.

Vive comme l'éclair, je ramassai mes affaires éparpillées sur le sol et me précipitai vers la porte de sa cabine, non sans avoir reçu au passage une violente claque sur les fesses.

— Mais ne t'en va pas trop loin, je pourrais avoir envie de remettre ça.

Après tes deux minutes de baise journalière, ça m'étonnerait, songeai-je acide. La coursive du transporteur était remplie de soldats et de membres d'équipage. Aucun n'accorda d'attention particulière à une conscrite à moitié nue cavalant dans le couloir. Une indication sur l'état d'esprit qui régnait au sein des rangs d'une société militaire privée. Encore plus, lorsqu'on se trouvait tout en bas de l'échelle hiérarchique et que l'on avait été ramassée sur une planète pourrie. Tout ça pour payer la dette de parents trop stupides ou trop illettrés pour déchiffrer les petits caractères dans le contrat qu'ils venaient de passer avec la compagnie.

— Eh 84 ! T'as encore eu droit au petit traitement du sergent, me cria un homme au crâne hérissé d'une superbe crête bleutée.

AZ84, ils me l'avaient pris même mon nom. Maintenant je n'étais plus qu'un numéro. Un petit rouage insignifiant au cœur de la mécanique parfaitement huilée de Terra Incognita & CO. Une situation que le matricule tatoué sous mon œil gauche se chargeait de me rappeler dès que je me regardais dans le miroir.

— Va te faire foutre 107, lui dis-je en lui adressant mon plus beau doigt d'honneur.

AR107 avait un visage de dieu grec, doublé d'une âme de chacal. Exactement le genre de personne que je voulais avoir de mon côté en cas de coup dur. Je m'efforçai donc d'adoucir mon geste d'un sourire charmeur. Il acquiesça et me répondit d'un signe de la main. Peut-être ne me collerait-il pas une balle dans le dos avant de baiser mon cadavre à notre prochaine sortie... rien n'était moins sûr.

La 15e compagnie était en poste sur le planétoïde UG85/2 depuis presque trois mois. Une très longue période à passer sur un caillou où le moindre autochtone vivant n'avait pour seul but que d'accrocher nos scalps à sa ceinture. Nous étions mieux armés et mieux entraînés — ce qui ne faisait aucune différence quand un EEI*, caché au bord de la route ou sous les vêtements d'un colon, vous explosait en plein visage.

À l'origine le mandat du groupe de Terra Incongnita se limitait à ramener la colonie minière dans les jupons de la Terre. Nous avions dépassé ce stade la semaine dernière. Lorsqu'un cadre anonyme de la compagnie avait décidé qu'il serait bien plus simple de remplacer le personnel sur place par un nouveau contingent de travailleurs plus enclins à comprendre la nécessité des « récessions économiques » imposées aux colons par la compagnie. Et les cinq mille âmes de la colonie ne représentaient rien de plus qu'une note en bas de page sur le bilan comptable de la société.

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant